Parsifal, dans la mise en scène de Richard Jones est entré au répertoire de l’Opéra national de Paris en 2018. Plusieurs éléments de décors représentent le personnage de Titurel, père d’Amfortas et fondateur de la communauté des chevaliers du Graal. À l’occasion de la reprise de cette production, le magazine Octave part à la rencontre de Jean-Philippe Morillon, responsable de l’atelier peinture, qui a réalisé la fresque de Titurel, et Stéphane Parain, sculpteur, qui a réalisé son buste. Ils reviennent sur les étapes de conceptions de ces deux éléments.
Comment avez-vous pris connaissance du projet de fresque et de buste de la production de Parsifal ?
Jean-Philippe Morillon : « À la création de Parsifal, en 2017, nous avions pris connaissance du projet de fresque inspirée de la cène biblique par le responsable artistique des ateliers, José Sciuto. Parfois, nous travaillons directement avec le scénographe, mais pour Parsifal, cela n’a pas été le cas. »
Stéphane Parrain : « À l’atelier sculpture, c’est aussi José Sciuto, directeur artistique des ateliers qui nous a d’abord présenté le projet. La cheffe de service de l’époque, Angelika Potier, nous a ensuite fourni des informations plus précises. J’ai tout de suite été très intéressé par le projet car il s’agissait de faire le portrait de l’interprète de Titurel, un travail très enthousiasmant. »
Un projet de grande envergure débute par une maquette, racontez-nous ce travail préparatoire.
J-P. M. : « Pour la réalisation de la maquette, nous avons travaillé à partir de différents documents fournis par Ultz, le scénographe. Il nous a envoyé des photos d’une fresque intitulée « Pilgrim’s progress » peinte dans une église par Hans Feibusch, un artiste allemand des années cinquante, et située dans le sud de l’Angleterre, à Eastbourne. Interpréter la demande d’un scénographe quand il n’est pas présent n’est jamais simple car il faut assembler plusieurs éléments parfois contradictoires. Nous savions qu’Ultz voulait qu’on revisite la cène. Il nous a demandé quelque chose de finalement très, « terre à terre » autour d'un banquet, de chaises posées, et avec des personnages positionnés de façon circulaire autour de la table, ce qui, finalement, contrastait avec la composition de Feibusch, plutôt aérienne. Pourtant, il souhaitait que nous reprenions des tons roses pastel comme dans les images de Hans Feibusch.
À partir de là, nous avons effectué trois essais de maquette pour essayer de trouver la meilleure réponse à ses attentes. Au fil des maquettes, le projet a évolué et nous nous sommes progressivement rendus compte des difficultés. Par exemple, il a fallu trouver les bons jeux de couleurs en gardant en tête la contrainte selon laquelle les personnages devaient avoir des chemises bleues et des chasubles vertes brodées.
Cette recherche se fait en équipe car le dialogue est essentiel. Sur ces trois maquettes, j’ai travaillé avec Gisèle Rateau et Thierry Desserprit, qui est depuis parti à la retraite. Nous avons donc chacun préparé une proposition de maquette. Je me rappelle très bien le jour où nous avons montré les trois maquettes à Ultz, nous étions anxieux. Après un moment de silence, il a dit « it’s great, it’s very clever! », nous étions soulagés. Nous avions beaucoup travaillé pour ce projet. Parmi les trois propositions, il a retenu celle de Gisèle. »
S. P. : « Comme Jean-Philippe, le scénographe nous a d’abord envoyé une photo, celle d’un buste de Kennedy, car il trouvait qu'il y avait une certaine ressemblance avec le chanteur, mais aussi pour nous montrer à peu près quelle forme le buste final devait avoir, son style et son époque. Il ne s’agissait pas d’un buste classique à la Louis XIV, mais plutôt de quelque chose de contemporain, datant des années soixante ou soixante-dix. Sur cette base, je devais placer le visage du chanteur.
C'est toujours agréable de faire un portrait car il y a un travail de recherche sur les traits du visage. C'est un exercice de sculpture qui existe depuis l’origine de la discipline, qui remonte à l'Antiquité. Nous avons parfois peu d’indications de la part scénographe. On se pose toujours beaucoup de questions. On ne sait jamais vraiment ce qu’on doit garder ou ne pas garder de cette photo qu’il nous a envoyée. Ce qui parait évident pour lui ne l’est pas pour nous.
Je me rappelle que sur cette photo, la sculpture avait un aspect très bosselé, très brut, on sentait qu’elle avait été sculptée avec des outils. La finition étant à la feuille d’or j’ai décidé d’opter pour un aspect lisse à la place et c’était exactement ce qu’il souhaitait. Cela nous demande de faire des propositions puis d’instaurer un dialogue afin de rejoindre au plus près la vision du scénographe. »
Vous étiez donc personnellement en charge de la réalisation de ces éléments de décors. Quelles ont été les étapes de conception ?
J-P. M. : « J’ai réalisé la fresque à l’acrylique. Nous avions commencé à travailler sur ce projet plusieurs mois avant la première. Les panneaux étaient déjà préparés et peints en rose en sous-traitance. La coordination entre la sous-traitance et le montage ne nous a laissé que peu de temps, et nous avons dû terminer la fresque la nuit, ce qui est exceptionnel.
Nous l’avons peinte à la verticale, le long des murs de l’atelier. D’ordinaire, cela se fait au sol, à l'italienne, c’est-à-dire qu'on marche sur la toile. Pour Parsifal, il s'agissait d'un format intermédiaire, c'est à dire entre la peinture de chevalet et le grand format.
Nous commençons toujours par peindre les éléments les moins précis, comme le ciel. Puis, on se focalise sur les personnages. C'est un vrai travail d'équipe, nous dialoguons beaucoup entre nous.
Pour les couleurs de la palette, nous avons fait des choix en s’inspirant des costumes. Nous avons trouvé un vert qui ressemblait aux chasubles vertes des artistes. Ces couleurs sont le résultat du choix du metteur en scène qui voulait donner cet aspect assez sectaire et communautariste aux chevaliers et à la religion.
S. P. : « Pour le buste, une fois la maquette en argile achevée, nous en avons fait un moule en silicone. Ce moule permet de faire des tirages en plâtre, plus solide et plus résistant que la terre. A partir de ce plâtre nous avons pu faire un agrandissement, avec la méthode de la mise au carreau. Pour le buste, la maquette faisait seulement cinquante centimètres de hauteur. On l’a donc multipliée par six pour que le buste final mesure trois mètres. Nous utilisons le polystyrène pour des projets de cette taille, qui a l’avantage d’être très léger et de pouvoir se sculpter facilement.
Une fois poncée au maximum, la pièce est transmise à l’atelier des matériaux composites qui la stratifie. C’est comme pour les bateaux, cela donne une coque dure et résistante. Enfin les peintres appliquent un enduit de finition et dorent à la feuille.
J'ai travaillé seul sur ce buste mais on demande toujours l'avis des collègues car il est important d’avoir un regard extérieur qui nous donne de nouvelles perspectives et nous indique des éléments à accentuer ou à adoucir. Selon l’envergure des projets nous adaptons la taille des équipes, notamment en faisant appel à des sculpteurs intermittents.
Je n’ai pas rencontré le chanteur qui nous a servi de modèle. J’ai travaillé d’après quelques photos de diverses époques, ce qui était un défi pour réussir à reproduire fidèlement son portrait. »
Vous êtes tous les deux très attachés à vos ateliers car c’est dans ce lieu que naissent toutes vos créations. Quel sentiment éprouvez-vous quand vos réalisations arrivent sur scène ?
J-P. M. : « À Bastille, nous avons la chance d'avoir un atelier magnifique dans lequel nous avons la chance de pouvoir réaliser les choses soigneusement. Notre travail est extrêmement précis quant à la recherche des couleurs. Il est important qu’on puisse voir l’œuvre finale sur le plateau car la lumière et la perspective peuvent parfois révéler des aspects de la toile que nous n’avions pas perçus en atelier. »
S. P. : « Notre atelier est un peu notre lieu d’exposition personnelle. Les sculptures y ont leur propre existence. Ce n’est pas comme sur scène où parfois on ne les voit que quelques minutes. Notre rapport au temps est différent car dans l’atelier nous les voyons plus longtemps. Quand on va les voir sur scène, la vision est plus globale, on se rend compte que nos réalisations participent à un ensemble plus vaste. »