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Emma Birski / OnP

Opéra

Manon

Jules Massenet

Opéra Bastille

du 05 au 26 février 2022

3h50 avec 2 entractes

Synopsis

Lorsque l’abbé Prévost signe, en 1731, l’Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut – qui inspirera à Massenet sa Manon – c’est le tableau d’une époque qu’il nous livre : celle de la Régence, qui voit la vieille société s’éteindre tandis qu’une autre semble naître, pleine de la promesse d’une liberté nouvelle. C’est entre ces mondes qu’évolue Manon, fuyant le couvent pour embrasser les chemins du désir et de la transgression et se jeter à corps perdu dans une passion brûlante et autodestructrice avec Des Grieux. Une parenthèse s’ouvre, qui se refermera dans la douleur et dans la nuit. Le metteur en scène Vincent Huguet s’affranchit du taffetas historique pour placer l’oeuvre dans l’éclat et le tourbillon des Années folles.

Durée : 3h50 avec 2 entractes

Langue : Français

Surtitrage : Français / Anglais

  • Ouverture

  • Première partie 75 min

  • Entracte 25 min

  • Deuxième partie 65 min

  • Entracte 25 min

  • Troisième partie 40 min

  • Fin

Voir les actes et les personnages

PERSONNAGES

Manon Lescaut
Le chevalier des Grieux : Amant de Manon
Lescaut : Cousin de Manon
Le comte des Grieux : Père du chevalier
Guillot de Morfontaine : Vieux libertin
Brétigny : Riche protecteur de Manon
Poussette, Javotte, Rosette : Trois demi-mondaines

ACTE I - AMIENS
Le vieux Guillot de Morfontaine, entouré de ses maîtresses Poussette, Javotte et Rosette, dîne bruyamment en compagnie de Brétigny. Débarque une foule de voyageurs parmi lesquels la jeune Manon. Elle est accueillie par son cousin Lescaut, chargé de la conduire au couvent. La belle ne passe pas inaperçue et Guillot tente de la séduire en faisant étalage de sa richesse. Lescaut l’éloigne et recommande à Manon de se tenir sage pendant qu’il s’encanaille dans le cabaret voisin. Restée seule, Manon rêve à la vie qu’on lui interdit. L’arrivée du chevalier des Grieux la tire de sa mélancolie : les deux jeunes gens tombent amoureux au premier regard et décident de s’enfuir à Paris.

ACTE II - PARIS
Le jeune couple vit dans un appartement de fortune. Des Grieux lit à Manon la lettre qu’il vient d’écrire à son père dans laquelle il lui annonce son intention de l’épouser. Ils sont interrompus par Lescaut, accompagné de Brétigny que Manon reconnaît immédiatement malgré son déguisement. Un jeu de dupes se met en place : Lescaut prétend se réconcilier avec des Grieux, tandis que Brétigny informe Manon que son amant sera rendu de force à son père le soir même. En échange de son silence, il lui promet de faire d’elle la reine du Tout-Paris. Malgré son amour sincère, Manon accepte le marché et se résigne à changer de vie. Des Grieux s’aperçoit de son trouble, mais il est trop tard : il est enlevé sous les protestations de Manon.

ACTE III – PREMIER TABLEAU LE COURS-LA-REINE
C’est jour de fête au Cours-la-Reine. Poussette, Javotte et Rosette s’amusent en cachette de Guillot tandis que Lescaut fait le joli coeur. Manon fait une entrée très remarquée et proclame devant la foule de ses admirateurs l’urgence de profiter de la jeunesse. Elle surprend une conversation entre Brétigny et le comte des Grieux et apprend que le chevalier a décidé de se retirer du monde et d’entrer au séminaire. Guillot, qui espère séduire Manon et l’enlever à Brétigny, a fait venir pour elle le Ballet de l’Opéra, mais la jeune femme quitte la fête précipitamment pour aller retrouver des Grieux.

ACTE III – SECOND TABLEAU SAINT-SULPICE

Des Grieux vient de prononcer un sermon qui a beaucoup impressionné les dévotes. Son père tente encore une fois de le dissuader d’entrer dans les ordres, mais le jeune homme reste inflexible. Cependant l’arrivée de Manon le trouble au plus haut point. Elle le supplie de lui pardonner sa trahison. Des Grieux est tiraillé entre son désir et ses résolutions. Il finit par céder au charme de Manon et s’enfuit une nouvelle fois avec elle.

ACTE IV - L’HÔTEL DE TRANSYLVANIE
Les dépenses de Manon ont épuisé les ressources de des Grieux. Pour se refaire, il se laisse entraîner dans un tripot où Lescaut a ses habitudes. Malgré ses réticences et son dégoût pour les jeux d’argent, il engage une partie avec Guillot dont il rafle les mises coup sur coup. Sa chance insolente irrite son adversaire qui l’accuse de tricherie. Guillot sort en menaçant le couple et revient peu après avec la police qui arrête Manon et des Grieux avec la bénédiction de son père.

ACTE V - LA ROUTE DU HAVRE
Sur une route qui mène vers Le Havre, des Grieux et Lescaut attendent le passage du convoi des filles condamnées à la déportation. Lescaut réussit à acheter la complicité des gardes pour que Manon et des Grieux puissent rester un moment seuls. La jeune femme s’accuse d’avoir gâché leur amour et implore le pardon. Des Grieux la rassure, tente de lui redonner espoir. Mais Manon est trop épuisée. Elle meurt dans ses bras en rêvant à leur bonheur passé.

Artistes

Opéra-comique en cinq actes et six tableaux (1884)

D’après le roman de l’abbé Prévost

Équipe artistique

Distribution

Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris

Galerie médias

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Une minute pour comprendre l’intrigue

1:15 min

Dessine-moi Manon

Par Matthieu Pajot

Lorsque l’abbé Prévost signe en 1731 L’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut – qui inspirera à Massenet sa Manon – c’est le tableau d’une époque qu’il nous livre : celle de la Régence, qui voit la vieille société s’éteindre tandis qu’une nouvelle semble naître, pleine de la promesse d’une liberté nouvelle.

C’est entre ces mondes qu’évolue Manon, fuyant le couvent pour embrasser les chemins du désir et de la transgression, et se jeter à corps perdu dans une passion brûlante et autodestructrice avec des Grieux. Une parenthèse s’ouvre, qui se refermera dans la douleur et dans la nuit.

Le metteur en scène Vincent Huguet s’affranchit du taffetas historique de l’œuvre pour en faire ressurgir toute la violence.

© Jérémie Fischer

Manon et le temps bouleversé

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Bientôt renaîtra le passé

12 min

Manon et le temps bouleversé

Par Valérie Zenatti

Invitée pour écrire une échappée littéraire autour de Manon, Valérie Zenatti s'apprête à livrer sa nouvelle après avoir assisté à la répétition générale de la production le 24 février 2020. Livret en poche et carnet de notes à la main, elle se plie à l'exercice, faisant revivre sous sa plume la passion brûlante de Manon et Des Grieux. Mais c'est sans connaître les événements à venir et leurs conséquences. Le 22 mars 2020, des milliers de spectateurs auraient dû se rendre à l'Opéra Bastille applaudir chanteurs et musiciens. Au lieu de cela, c'est une place vide et un théâtre fermé que l'auteure commente, sondant le temps suspendu et ses bouleversements. 


Surplombant la place de la Bastille déserte, l’écran de l’Opéra affiche la programmation de la saison 2020-2021. Carmen, La Fille de neige, et dans un an, Aida. J’entends Bérénice murmurer : Comment souffrirons-nous dans un jour, dans un an ? J’ai découvert cette phrase à l’adolescence, en lisant le roman de Françoise Sagan qui y avait taillé son titre. Je ne me souviens plus de l’intrigue, mais les vers de Racine figuraient en exergue et je les avais notés dans mon journal, pressentant que cette incertitude m’accompagnerait toute une vie, me rappelant que nous avons beau avoir des agendas, y inscrire des dîners, des anniversaires, une visite de contrôle chez l’ophtalmo, un rendez-vous avec le plombier pour des travaux, des sorties, un scanner à programmer, un déjeuner secret, un travail à rendre, un échéancier à planifier pour rembourser une dette, la cantine du mois prochain à payer, nous ne savons jamais de quoi nos vies seront faites, l’avenir est une illusion tenace capable de toutes les transformations, farce, tragédie, déception ou sublime surprise, rien ne se passe jamais comme on le souhaite ou comme on le redoute, répéterai-je à mes enfants, dans l’espoir de les armer face à ce qui surgit, ou n’arrive jamais.

Environ deux mille sept cents personnes avaient noté dans leur agenda, à la date du 22 mars 2020 : Manon.
Ceux qui avaient économisé pour s’offrir ce cadeau, ou l’offrir à quelqu’un : Ferme les yeux, tends tes mains, ouvre-les maintenant, regarde.
Ceux qui suivent Vincent Huguet depuis son travail avec Patrice Chéreau, depuis sa première mise en scène de Lakmé, et qui ne rateraient pour rien au monde un de ses spectacles.
Ceux qui le connaissent ou l’ont aperçu en répétition, silhouette adolescente et souriante, regard précis et respectueux, presque tendre, sur chaque artisan du spectacle : C’était parfait le changement de tableau, impeccable, merci les techniciens, bravo.
Ceux qui ont vu Pretty Yende dans Le Barbier de Séville, en 2016, et ont eu envie de la revoir dans le rôle-titre de Manon et ceux qui ont aimé Benjamin Bernheim dans La Traviata ou déjà, dans le rôle de Des Grieux, un an auparavant à l’Opéra de Bordeaux.
Les familles, les amoureux, les étudiants, les riches, les fauchés, les curieux, les passionnés, les Parisiens, les provinciaux, les enfants qui seraient venus à l’Opéra pour la première fois, les grincheux, les émerveillés, les snobs, les bouleversés, les amis des musiciens, des chanteurs, des choristes, les invités, ceux qui auraient dû annuler leur venue et auraient demandé à un copain de revendre leur place, ceux qui auraient été enchantés d’être passés par là. Les optima, et toutes les catégories de 1 à 9.
Ceux qui auraient fermé les yeux, s’abandonnant aux airs qu’ils connaissent par cœur, ceux qui auraient suivi chaque mot du livret sur le petit écran au-dessus de la scène ou dans le programme édité, ceux qui auraient tenu la main de la personne assise près d’eux, ceux qui auraient retenu leur souffle, ceux qui se seraient tenus bien droit, ceux qui auraient plongé plus ou moins discrètement la main dans leur sac pour y chercher un bonbon, ceux qui auraient trouvé le temps trop court, ceux qui auraient fait la queue pendant l’entracte pour une coupe de champagne, les habitués qui auraient passé leur commande avant le spectacle et se seraient dirigés vers le comptoir courant le long des baies vitrées où un verre et un sandwich les auraient attendus avec un petit carton très chic à leur nom, ceux qui auraient sorti une bouteille en plastique ou une gourde, parce que le plastique, ça suffit, c’est criminel, il faut penser à la terre et donc aux océans, tu sais qu’il y a un continent de plastique dans l’océan? On l’appelle le septième continent, il s’étale en réalité dans plusieurs eaux différentes, mais la plus grande surface se trouve dans l’océan Pacifique, entre la Californie et Hawaï, sur un million six cent mille kilomètres carrés, ça fait trois fois la France, pour te donner une idée, si, si, je l’ai lu, les poissons, les oiseaux, les tortues qui peuvent confondre ces particules avec du plancton les ingurgitent, ce qui provoque de sérieuses lésions du système digestif, ou peut les étouffer.
Tous auraient été là. Se seraient frôlés dans les couloirs, les escaliers ou auraient fait la queue devant les toilettes sans crainte, en file indienne bien serrée. Se seraient salués de loin, serré la main, embrassés : Oh, ça fait longtemps, c’est fou de se croiser ici, alors, tu en penses quoi, ça te plaît ?
Comme le soir de la générale, le 24 février 2020.
Où Manon, attendant d’être menée au couvent par son cousin, confiait ses impressions de voyage dans le coche,

Je regardais fuir, curieuse,
Les arbres frissonnant au vent !
Et j’oubliais, toute joyeuse,
Que je partais pour le couvent !
Pour le couvent ! Pour le couvent !
Devant tant de choses nouvelles,
Ne riez pas, si je vous dis
Que je croyais avoir des ailes,
Et m’envoler en paradis !
Oui, mon cousin !...
Puis... J’eus un moment de tristesse...
Je pleurais... Je ne sais pourquoi.
L’instant d’après, je le confesse,
Je riais...
Ah ! ah !
Je riais, mais sans savoir pourquoi !

Tristesse sans objet, joie sans objet, état d’adolescence pour certains - et Manon n’a que seize ans ! - de toute une vie pour d’autres, le contact invisible avec ce qui de soi dialogue avec le monde, avec la vie et la mort, avec chaque trace de création ou de destruction mais déjà Lescaut met en garde sa cousine:

Regardez-moi bien dans les yeux.
Je vais tout près, à la caserne,
Discuter avec ces messieurs,
De certain point qui les concerne.
Attendez-moi donc... Un instant... Un seul moment...
Ne bronchez pas, soyez gentille
Et n’oubliez pas, mon cher cœur,
Que je suis gardien de l’honneur
De la famille !

Ne pas broncher, être gentille, l’injonction plusieurs fois millénaire faite aux filles, et cet honneur familial tout aussi curieusement qu’inexorablement déversé sur leurs épaules, dans leurs reins, leurs yeux, leur bouche, leurs hanches, leurs seins. Elle voudrait s’y soumettre, Manon, ne pas broncher, être gentille, ne pas être celle par qui la souillure éclaboussera l’honneur de la famille, mais perchée sur un banc, les yeux brillant d’un désir aussi timide que violent, elle regarde surgir Joséphine Baker entourée d’une foule d’admirateurs et de photographes et tout autour d’elle :

Combien ces femmes sont jolies !
La plus jeune portait un collier de grains d’or ! Ah ! comme ces riches toilettes...
Et ces parures si coquettes
Les rendaient plus belles encore !
(triste et résignée)
Voyons, Manon, plus de chimères,
Où va ton esprit en rêvant ?
Laisse ces désirs éphémères
À̀ la porte de ton couvent !
Voyons, Manon ! Voyons, Manon,
Plus de désirs, plus de chimères !
(changeant de ton)
Et cependant, pour mon âme ravie
En elles tout est séduisant !
(avec un élan de volupté́)
Ah ! Combien ce doit être amusant
De s’amuser toute une vie !
Ah ! Voyons, Manon, plus de chimères...
va ton esprit en rêvant ?
(moitié larmes, moitié sourires)
Voyons, Manon ! Voyons, Manon !
Plus de désirs, plus de chimères !

Entre soif de lumière et perspective de réclusion, Manon vacille déjà, s’ouvrant sans le savoir à la rencontre, celle qui en une seconde donne une autre signification à la vie, pleine, entière, inédite. Le tournant, le virage qui déroute d’une trajectoire, la rencontre avec un R majuscule et mille points d’exclamation ou d’extase, célébrée par les uns, raillée par les autres, combien de spectateurs et de spectatrices, ce soir du 24 février ont déjà éprouvé les mots de Des Grieux qui s’étonne ?

Ô ciel !... Est-ce un rêve ?...
Est-ce la folie ?
D’où vient ce que j’éprouve ?
On dirait que ma vie va finir... ou commence !... Il semble qu’une main de fer
Me mène en un autre chemin
Et malgré moi m’entraîne devant elle !
(Peu à peu, Des Grieux s’est rapproché de Manon. Timide.)
Mademoiselle...

MANON

Eh quoi ?

DES GRIEUX (ému)

Pardonnez-moi !
Je ne sais...

(entrecoupé)
J’obéis... je ne suis plus mon maître... (peu à peu plus ardent)
Je vous vois, j’en suis sûr, pour la première fois

(tendre et retenu)
Et mon cœur cependant
Vient de vous reconnaître !
Et je sais votre nom...

MANON

On m’appelle Manon.

Il est là, le point de rupture et de jonction, je te reconnais sans t’avoir connu(e), je chéris déjà ton nom qui n’est qu’un prénom et qui dira désormais mes raisons de vivre, le prénom qui sera tout à la fois amour, trahison, perte de sens et refugedans la foi. Le prénom qui unira l’amour et la haine.
Trois heures cinquante de décors sévères, de costumes aux couleurs vives qui tournoient, C’est la fête au Cours-la-Reine, on y rit, on y boit, à la santé du roi ! Profitons bien de la jeunesse, aimons, rions, chantons sans cesse, nous n’avons encore que 20 ans car le bonheur est passager et le Ciel l’a fait si léger, qu’on a toujours peur qu’il s’envole.
L’insouciance valse avec la culpabilité, la séduction s’offre avec l’assurance des danseurs de music-hall.
À Paris, en France, dans le monde, et à l’Opéra Bastille pendant l’entracte, certains commentent l’actualité du jour. Le premier article de la réforme des retraites a été adopté à l’Assemblée. Le sujet s’est d’ailleurs invité au début de la représentation, une voix rappelant que les salariés de l’Opéra n’ont pas abandonné la grève, même si le spectacle est donné ce soir. Il y a eu des applaudissements et des sifflets, difficile de dire qui des partisans ou des opposants à la grève l’emportaient dans le public. Les bourses ont enregistré une baisse moyenne de 4%. La peur d’une crise économique liée au coronavirus s’étend. En Italie, un cinquième décès consécutif à la maladie a été enregistré pendant le week-end. Il faut arrêter d’en faire tout un plat, la grippe tue bien plus chaque année, dit une voix près du bar. Aux Etats-Unis, Harvey Weinstein a été jugé coupable d’agression sexuelle et de viol, mais pas d’agression sexuelle en série. Un homme et une femme débattent pour déterminer s’il s’agit plutôt d’une victoire ou d’un échec pour les féministes, la sonnerie rappelant les spectateurs à leur place retentit : On continuera après, tu as le temps de boire un verre ? Retournons voir comment il va faire mourir Manon.
Et pour la première fois pour le public, après avoir été fusillée, Manon expirait dans les bras de Des Grieux et quelques secondes plus tard Pretty Yende et Benjamin Bernheim se relevaient devant le rideau noir pour saluer ensemble avant le salut collectif. Les deux cent neuf artistes et les trente techniciens du spectacle voyaient des semaines de travail applaudies et quelque part dans la salle, Vincent Huguet devait sourire, soulagé et peut-être fier, sans savoir encore que les représentations seraient suspendues à partir du 8 mars suite à un décret gouvernementale interdisant les rassemblements de plus de mille personnes ; que le 10 mars, une captation serait tournée en l’absence du public, pour permettre au plus grand nombre de voir tout de même Manon aimer, vivre au-delà de ses rêves, tout perdre et mourir ; que le 22 mars 2020, la place de la Bastille serait vide, les portes de l’Opéra closes, et sur la scène où le rideau bleu dessiné par Cy Twombly était peut-être baissé, seul résonnerait le silence du sixième jour de confinement.
Et la foule de spectateurs, de spectatrices, les chanteurs, chanteuses, danseurs, danseuses, musiciens, musiciennes sous la direction de Dan Ettinger, techniciens, techniciennes, ceux ou celles qui se connaissent et ceux ou celles qui n’auraient même pas su qu’ils partageaient le même lieu, la même histoire, au même moment, ceux qui auraient dû se retrouver là, étaient éparpillés, plongés comme deux milliards d’êtres humains dans leurs questions, leur désarroi, leurs ressources, leur besoin quotidien de savoir que leurs proches allaient bien, face à la vie incertaine mais

N’est-ce pas ma main que cette main presse,
N’est-ce pas ma voix ?
N’est-elle pour toi plus une caresse
Tout comme autrefois ?
Bientôt renaîtra le passé.

Grâce du spectacle vivant.


Playlist

© Elena Bauer / OnP

Manon : Une atmosphère typiquement française

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Rencontre avec le chef d’orchestre Dan Ettinger

6:29 min

Manon : Une atmosphère typiquement française

Par Coline Delreux

Le chef d’orchestre Dan Ettinger dirige la nouvelle production de Manon, signée Vincent Huguet, à l’affiche de l’Opéra de Paris jusqu’au 10 avril prochain.
À cette occasion, il revient sur les caractéristiques musicales de la partition et nous livre quelques-uns des secrets d’un succès jamais démenti.


Playlist

© Caroline Laguerre

Manon à travers les âges

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Entre hommage au XVIIIe siècle français et tentation wagnérienne

05 min

Manon à travers les âges

Par Valère Etienne / BmO

Salué comme l’un des chefs-d'œuvre de Massenet, Manon a cependant frappé ses premiers auditeurs par son caractère hybride : fidèle aux traditions de l'opéra-comique à la française, à une époque où ce genre tombait doucement en obsolescence, hanté par des réminiscences de Rameau et de Lully, mais habité en même temps par un lyrisme aux accents parfois wagnériens, cet opéra est l'hommage rendu par Massenet à Manon Lescaut et au XVIIIe siècle français, authentique à la fois dans sa reconstitution d'une période de l'Histoire et dans sa manière d'exprimer les passions humaines les plus intemporelles. 

Quand Massenet fit jouer son adaptation à l'opéra de Manon Lescaut, de nombreuses voix s'élevèrent pour lui reprocher son infidélité au roman de l'abbé Prévost. Mais il était difficile de faire autrement : on ne pouvait attendre, d'un compositeur de la fin du XIXe siècle écrivant un opéra sur un roman datant du règne de Louis XV, qu'il fût en osmose avec son sujet, mais plutôt qu'il adoptât un rapport objectif vis-à-vis de lui. Objectif, déjà, parce qu'avec le passage de Manon sur la scène d'un théâtre, la subjectivité de la narration à la première personne qui caractérisait le roman n'avait plus cours. Objectif aussi en raison de la distance historique qui sépare Massenet de l'abbé Prévost, et fait de Manon, de Des Grieux, et de tous les autres personnages, des êtres de leur temps, représentants d'un monde et d'une époque révolus. 

Première page du manuscrit autographe de Manon
Première page du manuscrit autographe de Manon © BnF

Il est donc vrai que pour Massenet, composer Manon fut pour une part un travail de reconstitution historique : il s'agissait d'évoquer, musicalement, les années de la Régence où se situe l'action du roman. Pour cela, Massenet, influencé par l'esthétique néo-classique de l'époque qui voyait volontiers le XVIIIe siècle comme celui de la fête, des masques, de l'hédonisme rococo, a donné à l'ensemble une allure de pastiche, en multipliant les emprunts à la tradition musicale du XVIIIe siècle français : l'opéra s'ouvre sur une gavotte, que l'on retrouve au début du tableau du Cours-la-Reine ; un rythme de menuet et de passepied sert d'élément structurant à l'acte III ; et bien des airs, comme le duo de Poussette et Javotte de l'acte III « La charmante promenade », avec ses deux voix superposées à la tierce, ou la chanson burlesque de Lescaut « Ô Rosalinde, il me faudrait gravir le Pinde », avec ses lignes de chant ornementées, rappellent l'art vocal du XVIIIe siècle, et souvent la manière d'un Lully (XVIIe !) ou d'un Rameau. C'est par ce subtil moyen que Massenet atteint à une forme de vérisme historique et prête à sa Manon la « couleur locale » du XVIIIe siècle.

À côté de ça, l'opéra comporte des passages d'un lyrisme intense qui correspondent aux effusions subjectives des deux personnages principaux, et viennent contraster avec l'objectivité de la reconstitution historique : l'ambiance « Louis XV » est entrecoupée d'épisodes de passion aux accents quasi wagnériens, au point que les premiers spectateurs de Manon ont été perturbés par cet apparent décalage. À propos du fameux air « Adieu, notre petite table », déclamé par Manon à l'acte II au moment de quitter l'appartement qu'elle occupait avec Des Grieux, par exemple, Louis de Fourcaud notait ironiquement qu'« Yseult ne pleurerait pas Tristan avec plus de sanglots ». La transition entre légèreté du récitatif et dramatisme du chant se fait parfois de façon imperceptible, au détour d'une phrase. Dans le tableau du Cours-la-Reine, Manon, d'abord mêlée au spectacle de danse qui occupe la scène, est tout à coup mise en émoi par le reflux de ses souvenirs et de ses interrogations.

Le Cours-la-Reine. Estampe de Jules Gaildrau (1816-1898)
Le Cours-la-Reine. Estampe de Jules Gaildrau (1816-1898) © BnF

Tout cela s'explique très bien : cet équilibre subtil entre distanciation historicisante et expression de sentiments à caractère intemporel était la véritable façon, pour Massenet, de se montrer fidèle au roman de l'abbé Prévost en l'adaptant à l'opéra à un siècle et demi de distance, à une époque que tout opposait à celle de l'œuvre d'origine. Dans un entretien donné au Figaro et paru le jour de la première de Manon à l'Opéra-Comique (19 janvier 1884), Massenet se confiait sur l'objectif qu'il avait poursuivi en composant l'œuvre : quelque part entre l'opéra à l'italienne où les personnages s'expriment par phrases qui vivent leur vie, détachées de « l'air ambiant », et l'art d'un Wagner où ces mêmes phrases se fondent au contraire dans le flot de l'harmonie, Manon devait être un moyen terme. « Ce contraste voulu, entre le sentiment local et le sentiment humain, est un des effets sur lesquels je me crois le plus en droit de compter », disait Massenet.

Il est significatif que ces deux tendances, conciliées dans Manon, soient devenues exclusives l'une de l'autre dans les opéras suivants de Massenet : en 1894, Le Portrait de Manon qui nous montre le devenir de Des Grieux dans son âge mur, n'est plus que pastiche ironique et nostalgique ; tandis que dans Werther, créé en 1893 et considéré par d'aucuns comme son « Tristan », Massenet penchait résolument du côté du maître de Bayreuth en laissant la place à la mélodie continue et à l'emprise globale de la subjectivité de son héros sur le discours musical.

" Massenet est aujourd'hui mis à l'honneur par la Bibliothèque nationale de France, qui présente dans Gallica ses collections numérisées portant la mémoire du compositeur. On y trouvera, notamment, certains des décors et costumes utilisés pour les représentations de Manon et de ses autres œuvres scéniques. "    

© Julien Benhamou/OnP

L’âme de Manon

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Rencontre avec les artistes des Chœurs, Caroline Petit et Laurent Laberdesque

06 min

L’âme de Manon

Par Octave

Personnage central ou simples spectateurs d’une action, les Chœurs de l’Opéra national de Paris ne cessent de nous surprendre par leur flexibilité et leurs qualités artistiques. Dans Manon, mis en scène par Vincent Huguet, le chœur incarne les normes sociales de toute une époque et se fait le témoin des aventures de la jeune Manon. À cette occasion, Octave a rencontré deux artistes des Chœurs, Caroline Petit et Laurent Laberdesque. Ensemble, ils reviennent sur les spécificités de leur travail et de la partition de Jules Massenet.  

Playlist

  • [EXTRAIT] MANON by Jules Massenet (Roberto Alagna)
  • [EXTRAIT] MANON by Jules Massenet
  • [EXTRAIT] MANON by Jules Massenet
  • [TRAILER] MANON by Jules Massenet
  • Manon (saison 19/20)- ACTE 3 (Pretty Yende)

  • Manon (saison 19/20)- ACTE 3 (Roberto Tagliavini)

  • Manon (saison 19/20)- (Pretty Yende, Benjamin Bernheim)

  • Manon (saison 19/20)- ACTE 1 (Ludovic Tézier)

Accès et services

Opéra Bastille

Place de la Bastille

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Bus 29, 69, 76, 86, 87, 91, N01, N02, N11, N16

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Dans les deux théâtres, des places à tarifs réduits sont vendues aux guichets à partir de 30 minutes avant la représentation :

  • Places à 35 € pour les moins de 28 ans, demandeurs d’emploi (avec justificatif de moins de trois mois) et seniors de plus de 65 ans non imposables (avec justificatif de non-imposition de l’année en cours)
  • Places à 70 € pour les seniors de plus de 65 ans

Retrouvez les univers de l’opéra et du ballet dans les boutiques de l’Opéra national de Paris. Vous pourrez vous y procurer les programmes des spectacles, des livres, des enregistrements, mais aussi une large gamme de papeterie, vêtements et accessoires de mode, des bijoux et objets décoratifs, ainsi que le miel de l’Opéra.

À l’Opéra Bastille
  • Ouverture une heure avant le début et jusqu’à la fin des représentations
  • Accessible depuis les espaces publics du théâtre
  • Renseignements 01 40 01 17 82

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