La pièce est divisée en quatre parties, appelées sur le modèle du théâtre espagnol «journées ». L’action se déroule à l’époque des grandes découvertes, alors que l’Espagne est à la tête d’un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais et que le monde vérifie ses contours.
PREMIÈRE JOURNÉE
La pièce s’ouvre sur la dernière prière d’un Père Jésuite pour son jeune frère Rodrigue : que l’amour et le désir d’une femme brisent enfin la muraille de ce cœur orgueilleux et l’ouvrent à l’infini. En effet, à la suite d’un naufrage, le jeune Don Rodrigue de Manacor a été jeté sur la côte africaine; le premier visage qui s’est présenté à lui lorsqu’il a ouvert les yeux a été celui de Doña Prouhèze, l’épouse de Don Pélage, gouverneur général des Présides. Une passion absolue est née entre les deux jeunes gens. Incapable de résister plus longtemps à la voix de Rodrigue qui l’appelle, Doña Prouhèze a profité d’un séjour en Espagne pour faire parvenir à Rodrigue un message lui donnant rendez-vous dans une auberge au bord de la mer, en Catalogne. Avant de repartir, Don Pélage doit quant à lui marier six jeunes orphelines de sa famille, parmi lesquelles la jeune Musique, dont son ami, le fidèle Don Balthazar, est secrètement épris. Pélage confie à Balthazar la charge d’accompagner Prouhèze en Catalogne, où il la rejoindra pour regagner l’Afrique. Dans le même temps, Don Camille, un cousin de Don Pélage, aventurier sans foi ni loi, presse la jeune femme de partir avec lui à Mogador, sur la côte africaine, où il doit rejoindre son commandement. Malgré le refus qu’il essuie, Camille y donne rendez-vous à Prouhèze. Sur le conseil de son chancelier, le Roi d’Espagne décide de nommer Don Rodrigue Vice-Roi de son empire d’Amérique latine. Il envoie ses messagers à sa recherche. Avant de quitter la maison de son époux, Prouhèze prévient Balthazar qu’elle va chercher à s’enfuir pour rejoindre Rodrigue et lui demande de l’en empêcher. Elle prie la Vierge des Sept-Douleurs de l’aider à ne pas déshonorer son mari et offre à celle-ci son soulier de satin, afin de ne plus pouvoir s’élancer vers le mal qu’en boitant. Mais le rendez-vous des amants n’aura pas lieu car, dans la nuit, Rodrigue, croyant défendre une procession de Saint Jacques, a été blessé par de faux pèlerins venus enlever la maîtresse de l’un d’eux, Doña Isabel. Rodrigue est transporté mourant auprès de sa mère, Doña Honoria. Pour ne pas être mariée contre son gré, Doña Musique s’est enfuie avec un Sergent napolitain qui lui a promis l’amour du Vice-Roi de Naples. Elle rejoint en cachette sa cousine Prouhèze, et lui confie son projet. Bouleversé par la passion de Prouhèze et désespéré par l’impossibilité d’épouser Musique, Don Balthazar laisse les deux jeunes femmes s’échapper pour que chacune rejoigne l’homme qu’elle aime. Pour ne pas déshonorer son ami Pélage, il se laisse abattre en feignant de défendre l’auberge où elles s’étaient retrouvées. Un Ange Gardien prend le relai de Don Balthazar pour veiller sur Prouhèze et l’accompagner.
DEUXIÈME JOURNÉE
Prouhèze a rejoint le château de Doña Honoria, où Rodrigue est entre la vie et la mort. Elle s’interdit néanmoins la chambre du blessé. Don Pélage arrive bientôt. Il rappelle à la jeune femme l’engagement sacré que celle-ci a pris – «ce n’est pas l’amour qui fait le mariage, mais le consentement » – et lui propose «à la place d’une tentation, une tentation plus grande» : l’Afrique, qu’elle aime tant, le commandement de la citadelle de Mogador où Don Camille est soupçonné de jouer un double jeu. Doña Prouhèze part sans avoir revu Rodrigue. Ce dernier, à peine rétabli, prend la mer dans le sillon du bateau de la jeune femme. Le Roi d’Espagne l’a chargé de porter une lettre au nouveau commandeur de Mogador avant de rejoindre son poste aux Amériques…
Apparaît Saint Jacques, dont la constellation, au-dessus de l’océan, « illumine la nuit de ceux que l’abîme sépare», et console les deux amants «qui se fuient à la fois et se poursuivent ». En mer, Prouhèze a donné l’ordre de tirer sur le bateau de Rodrigue afin d’arrêter sa poursuite. Au large de Mogador, sur son navire démâté, Rodrigue confie son incompréhension à son Capitaine, et laisse la jalousie et l’amertume l’envahir : Prouhèze, qui l’observe depuis les remparts de la forteresse, n’est-elle pas en train de s’offrir à Camille? Lorsqu’il atteint enfin Mogador, Rodrigue n’est pas reçu par Prouhèze. Camille se charge avec une ironie cinglante de remettre à Rodrigue la réponse de celle-ci à la lettre royale, qu’elle n’a même pas ouverte : « Je reste, partez ». Dans la lumière de la lune, apparaît l’Ombre double qui a été imprimée sur un mur lors d’une étreinte de Rodrigue et de Prouhèze : elle lance son réquisitoire contre cet homme et cette femme qui ont provoqué son existence, pour ensuite la séparer. Dans le ciel, la Lune contemple Rodrigue et Prouhèze endormis dans la douleur de leur séparation, l’une à Mogador, l’autre sur son bateau en chemin pour l’Amérique. Elle entend la soif d’absolu qui traverse leur désir inassouvi. Au rebours de l’itinéraire tortueux de sa parente, Doña Musique a miraculeusement trouvé le Vice-Roi de Naples. Débute entre eux un amour sans obstacles.
TROISIÈME JOURNÉE
Alors que l’Amazonie est en proie à l’invasion des conquistadors, que l’on torture à Mogador, que les guerres de religion font rage en Europe, on retrouve Doña Musique dans l’église Saint Nicolas de Prague, où elle a accompagné son époux, le Vice-Roi de Naples. Elle est enceinte du futur Jean d’Autriche. Entourée de quatre saints, elle prie. Elle entend la douleur autour d’elle, tout en sentant dans ses entrailles la vie qui se prépare. Elle est remplie de l’espérance que promettent déjà un sens, une harmonie qui doivent naître du chaos et de la souffrance qui agitent les peuples aujourd’hui. Rodrigue, désormais Vice-Roi des Indes occidentales, mène dans son palais délabré une vie amère, entouré d’une cour sans faste ni gaieté. Il concentre toute son activité sur la réalisation d’un passage à Panama permettant de faire passer les bateaux d’un océan à l’autre. Doña Isabel, devenue sa maîtresse, complote pour écarter cet amant qui ne l’aime pas et faire passer le pouvoir aux mains de son mari Don Ramire. Prouhèze, de son côté, devenue veuve de Pélage, a épousé Camille pour conserver le pouvoir sur Mogador. Dans la détresse d’un jour de trop grande souffrance, elle a écrit à Rodrigue pour lui demander de venir la délivrer. Cette « lettre à Rodrigue» va devenir une véritable légende sur les mers entre le vieux et le nouveau monde. Portant malheur à tous ceux qui la touchent, elle va mettre dix ans, passant d’un continent à l’autre, avant de parvenir à son destinataire. C’est cette lettre qui va servir d’arme à Doña Isabel pour écarter Rodrigue car dès qu’il la reçoit, Rodrigue part pour Mogador afin de libérer Prouhèze. Entre temps, Prouhèze a reçu pendant son sommeil la visite de son Ange Gardien. Celui-ci donne le sens de cet amour impossible. «Même le péché, le péché aussi sert » : cet amour a permis de faire éprouver à l’orgueilleux Rodrigue le besoin de l’autre, jusqu’au fond de sa chair. L’Ange propose à Prouhèze de prolonger cet amour en faisant d’elle une étoile… séparée, mais conductrice, pour guider Rodrigue vers la lumière et l’amour éternels. Pour cela, il faut qu’elle demande à Rodrigue de consentir à sa mort. À son tour, Camille, en pleine crise spirituelle, pousse Prouhèze dans ses retranchements et lui demande un sacrifice supplémentaire : qu’elle renonce également à Rodrigue au-delà de la mort. C’est d’après lui la condition pour que sa propre âme soit sauvée. Lorsque Prouhèze monte à bord de la caravelle de Rodrigue sous la forteresse de Mogador, ce n’est donc pas pour partir avec lui mais pour lui confier Marie des Sept-Épées, la fille qu’elle a eue de Camille. Quant à elle, après un grand duo d’amour dans lequel elle tente de faire sentir à Rodrigue la joie vers laquelle elle veut le conduire, par-delà l’absence et la mort, elle retourne à terre où tout est prêt pour faire sauter la citadelle.
QUATRIÈME JOURNÉE
Toute la quatrième « journée» du Soulier de satin se déroule en mer, au large des îles Baléares. Dix années ont passé depuis la mort de Prouhèze à Mogador. L’opéra se concentre sur l’histoire de Sept-Epées, la fille que Prouhèze a eue de Camille et qu’elle a confiée à Rodrigue avant de mourir. Rodrigue, vieilli, a perdu une jambe en combattant les Japonais aux Philippines, où il avait été envoyé en disgrâce pour avoir abandonné son poste en Amérique. Il gagne désormais sa vie en peignant des «feuilles de saints», images colorées très populaires auprès des matelots à travers toute la Méditerranée. Elles véhiculent une spiritualité, une esthétique et une vision politique à rebours des canons établis. Sept-Épées, très exaltée, explique à sa fidèle amie, la Bouchère, qu’elle veut partir à l’assaut des places fortes barbaresques pour délivrer les chrétiens des bagnes d’Afrique du nord. C’est pour elle une façon de rejoindre sa mère. Elle explique à la Bouchère les circonstances dans lesquelles elle est tombée amoureuse de Don Juan d’Autriche, fils de Doña Musique et du Vice-Roi de Naples, qu’elle veut rejoindre pour la bataille de Lépante. Toute à son projet, elle essaie de réveiller l’esprit d’aventure de son vieux conquistador de père adoptif et de l’entraîner avec elle. Mais Rodrigue tente de lui expliquer qu’il n’est pas fait pour cette guerre particulière. C’est quelque chose de plus absolu qu’il recherche : une libération telle que l’homme n’ait pas d’autre frontière que le ciel. Sept-Épées, déçue, part rejoindre Don Juan d’Autriche à la nage, suivie de sa fidèle Bouchère. Les feuilles de saints que Rodrigue diffuse à travers la Méditerranée sont considérées comme des provocations blasphématoires et attirent les foudres du pouvoir royal. Il est arrêté. Sur le bateau qui l’emmène au marché aux esclaves, un vieux moine reçoit sa confession : toujours brisé de douleur après la mort de Prouhèze, et bien que ligoté et humilié, il éprouve enfin un sentiment de libération. Il sent désormais qu’il ne fait plus qu’un avec la mer et les étoiles. Alors qu’une vieille religieuse chiffonnière accepte de l’emporter avec une brassée de vieux objets hétéroclites, un coup de canon dans le lointain annonce que Sept-Épées vient d’atteindre le bateau de celui qu’elle aime. Le pire n’est pas toujours sûr.