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Elena Bauer / OnP

Opéra

La Traviata

Giuseppe Verdi

Opéra Bastille

du 29 septembre au 29 décembre 2018

3h05 sans entracte

La Traviata

Opéra Bastille - du 29 septembre au 29 décembre 2018

Synopsis

Dans la mise en scène de Benoît Jacquot, l’Olympia de Manet domine la scène de l’Opéra Bastille. Le tableau fit scandale en 1863. La prostituée attend son client, le regard fier, la mine assurée. Est-ce Violetta ? Comme Olympia, l’héroïne la plus célèbre de Verdi s’offre au spectateur comme elle s’offre à l’amour, allant jusqu’à mourir sur scène, ultime sacrifice de la femme à son amant. Ou serait-ce le spectateur qui la dénude et s’immisce dans son intimité, à l’image de ce milieu voyeuriste mondain ? Toujours est‑il que ces deux femmes nous défient et subjuguent celui qui ne peut s’empêcher de les regarder.

Durée : 3h05 sans entracte

Langue : Italien

Surtitrage : Français / Anglais

  • Ouverture

  • Première partie 35 min

  • Entracte 30 min

  • Deuxième partie 55 min

  • Entracte 30 min

  • Troisième partie 35 min

  • Fin

Artistes

Opéra en trois actes (1853)

D'après Alexandre Dumas Fils, La Dame aux camélias

Équipe artistique

Distribution

Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris

Galerie médias

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© Ruth Walz / OnP

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Brève histoire de La Traviata à l’Opéra de Paris

05 min

Toujours libre… Sempre libera

Par Simon Hatab

Si La Traviata n’est sans doute pas l’ouvrage de Verdi à aborder le plus ouvertement des questions politiques, à la différence de Simon Boccanegra ou d’Un bal masqué, l’œuvre est elle aussi nimbée d’un parfum de scandale. Alors qu’il est repris dans la mise en scène de Simon Stone, retour sur l’histoire d’un opéra de Verdi assurément subversif.    

Dès sa création à Venise, en 1853, l'opéra le plus célèbre de Verdi est nimbé d'un parfum de scandale : la censure refuse que l'intrigue se déroule à l'époque contempo­raine et oblige le compositeur à la transposer au temps de Louis XIV. C'est que, dès la création, le public ne supporte pas de voir son reflet dans le miroir que lui tend Verdi : le reflet d'une société hypocrite qui dévoie - tel est le sens littéral du mot traviata ­ - une femme et la sacrifie sur l'autel de la morale bourgeoise.

Dès lors, l'histoire de Violetta Valery, courtisane repentie, sacrifiant son amour pour Alfredo afin de préserver l'honneur de sa famille, offre deux voies à l'interprétation : l'une compassionnelle, qui consiste à voir dans la mort de Violetta le rachat de sa vie; l'autre, esquissée par Roland Barthes, qui analyse le livret sous l'angle de la domination sociale, arguant que le sacrifice de Marguerite (Violetta) est « un moyen (bien plus supé­rieur que l'amour) de se faire reconnaître par le monde des maîtres ». Il est fort à parier que les mises en scène les plus subversives optent pour cette seconde voie.

En France, l'opéra est créé en 1856 au Théâtre des Italiens. On se félicite de ce qu'après Victor Hugo, ce compositeur italien qui semble décidément apprécier les auteurs français, ait choisi un livret inspiré de La Dame aux camélias, d'Alexandre Dumas fils. Verdi, dit-on, attachait un soin tout particulier au choix de ses interprètes. Lors de ces représentations aux Italiens, la critique raille une Violetta « si forte que l'on a osé rire lorsque la situation l'a contrainte à exprimer par une petite toux répétée qu'elle doit mourir au dernier acte ».

En 1886, l'œuvre passe à l'Opéra-Comique, avant d'entrer en 1926 au Palais Garnier. Pour l'occasion, Fanny Heldy prête sa voix à Violetta et Georges Thill à Alfredo. Leur succéderont notamment Janine Micheau, Renée Doria, Jacqueline Brumaire, Andrée Esposito, Andrea Guiot, Katia Ricciarelli, Cecilia Gasdia (Violetta), Beniamino Gigli, Nicolai Gedda, Alain Vanzo, Alberto Cupido, Giacomo Aragall (Alfredo), Ernest Blanc, Robert Massard, Louis Quilico, Gabriel Bacquier, Leo Nucci, Lajos Miller (Germont).

Avec la production de Franco Zeffirelli, c'est un spectacle d'un tout autre genre qui arrive à l'Opéra en 1986 : scène opulente et luxueuse, occupée par un escalier monu­mental, abat-jour sur fond de moires drapées à l'italienne et de décorations florales... Si cette production est passée à la postérité, elle le doit autant à ses reprises à travers le monde qu'à sa captation cinématographique en 1983 par Zeffirelli lui-même, avec Teresa Stratas (Violetta), Plácido Domingo (Alfredo), Cornell MacNeil (Germont) sous la direction de James Levine. Une Traviata plus fastueuse qu'émouvante ? Tel est l'avis du Monde : « S'il satisfait pleinement l'œil par ses opulents décors et ses merveilleux éclai­rages, il ne touche guère le mystère des âmes souffrantes. »

Ce « mystère des âmes souffrantes », la mise en scène de Jonathan Miller, qui pro­pulse en 1997 l'œuvre sur la scène de l’Opéra Bastille, l'effleure-t-elle davantage ? Violetta n'a jamais paru plus seule et plus fragile que sur cet immense plateau. Sous la direction de James Conlon, Angela Gheorgiu prête sa voix à Violetta et Ramon Vargas à Alfredo.

En 2007, retour dans le cadre plus intimiste du Palais Garnier pour une production dirigée par Sylvain Cambreling et mise en scène par Christoph Marthaler. Sous les néons d'Anna Viebrock, dont l'éclairage clinique contraste violemment avec les ors de la salle, le metteur en scène traque les spasmes et les soubresauts qui tra­hissent les pulsions souterraines de cette petite société bourgeoise. Face à l'Alfredo de Jonas Kaufmann et au Germont de José Van Dam, Christine Schäfer compose une Traviata fragile et bouleversante, hantée par le souvenir d'Édith Piaf. Sur scène, une danseuse mutique se déshabille à l'envi tandis que l'on se précipite pour la rhabiller. Existe-t-elle vraiment ? Elle semble incarner une réalité que l'on voudrait taire, mais qui demeure et dont la vue crée un profond malaise.

Sept ans plus tard, c’est au tour du réalisateur Benoît Jacquot de s’emparer du chef-d’œuvre de Verdi pour peindre à travers le destin de Violetta « la chute d’une femme ». Chez lui, la scène de l’Opéra Bastille est dominée par l’Olympia de Manet, tableau qui fit scandale en 1863 à cause de son sujet : une prostituée attendant un client. Une façon de conserver quelques effluves du scandale qui semble être le signe de La Traviata depuis sa création ?

Podcast La Traviata

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"Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris" - en partenariat avec France Musique

07 min

Podcast La Traviata

Par Nathalie Moller, France Musique

Avec « Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris », nous vous proposons des incursions originales dans la programmation de la saison à la faveur d’émissions produites par France Musique et l’Opéra national de Paris. Pour chacune des productions d’opéra et de ballet, Nathalie Moller pour le lyrique et Jean-Baptiste Urbain pour la danse, vous introduisent, avant votre passage dans nos théâtres, aux œuvres et aux artistes que vous allez découvrir.  

© Sébastien Mathé / OnP

La dritta via

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À la place du mort

10 min

La dritta via

Par Gwenaëlle Aubry

Marguerite Gautier sous la plume d’Alexandre Dumas, Violetta Valéry dans la composition de Verdi. La « Traviata » fait couler beaucoup d’encre et vaciller le cœur des hommes. Drame romantique, l’opéra concentre son action autour de l’impossible amour d’Alfredo et de Violetta. Pour cause, le mariage de la jeune sœur d'Alfredo avec un homme de bonne famille, qu'on devine assez conservatrice… De cette jeune sœur, on ne sait rien. Que devine-t-elle drapée sous sa robe blanche et le tulle de son voile ? L’écrivain Gwenaëlle Aubry donne naissance à Blanche Duval, « vierge incolore, jeune fille pâle », qui prend peu à peu les traits d’une morte adulée, sous la pression des pères, frères et maris. Jouet docile à la fleur de camélia, la jeune mariée n’a pas dit son dernier mot.  


Je suis née Blanche Duval, vierge incolore, jeune fille pâle. Mon nom a disparu sous les fards et les poisons. Je suis celle à qui l’on a sacrifié la passion.

J’étais, sous ce nom, la chaste sœur, la giovine sì bella e pura : c’est, du moins, ce que les hommes voulaient faire de moi. Je les revois, mon père, mon frère, à leur retour de Paris, errant dans la maison devenue mausolée, plantant le jardin de marguerites, de violettes et de camélias. Et ces longs repas muets que tous deux noyaient de vin. Je ne comprenais pas. Je préparais mes noces. J’avais été élevée pour ça : préparer mes noces. Me laisser draper de satin et de tulle immaculés. Me laisser conduire, fleur de lys, blanche génisse, à l’autel. Tu as de la chance, me disait-on, ton futur mari est d’excellente famille. Ni vices, ni passions. Une droite ligne, jamais déviée. Et parfois je les voyais, mon père, mon frère, à la fin du repas, alignant des chiffres sur un coin de la nappe blanche tachée de vin. J’entendais les mots « notaire », « dettes », et « dot ». Va te coucher, me disait-on, ce ne sont pas des affaires de femme. Et n’oublie pas tes prières. J’obéissais. Seule dans ma chambre, je priais la Vierge, les anges et tous les saints. Ma mère, aussi, ma mère tôt perdue et dont le prénom de Marie se confondait pour moi avec cette litanie. À tous ceux-là, enfin, j’ajoutais un nom qui, lui, n’évoquait ni image ni parfum, rien d’autre que ces fleurs vite desséchées par le soleil de Provence et que mon frère, sans trêve, replantait : Violetta. Tel est l’ordre que mon père, à son retour de Paris, m’avait donné : mêler chaque soir ce nom à mes prières. C’est, m’avait-il dit, celui d’une mystérieuse amie. Tu lui dois ton bonheur. N’oublie jamais ça. Et ne pose pas de questions. J’obéissais. Ce prénom, il m’avait bien semblé l’entendre murmuré par mon frère dans le jardin, par les commères à la sortie de la messe, le voir flotter dans la maison aux volets fermés, autour des repas noyés de vin. Une marraine, me disais-je, une tante inconnue. Et même, parfois, ma mère revenue. Ma mère veillant sur moi depuis une autre vie. Blanche, vous disais-je, blanche comme l’oie, la giovine sì bella e pura, et bête à pleurer.

Le jour de mes noces est arrivé. On m’a drapée de tulle et de satin. Les yeux mi-clos dans la lumière aveuglante de ce matin de juin, je me laissais faire, tandis que peu à peu se dessinait l’image d’une étrangère, cheveux agencés en une coiffure exquise et compliquée, lèvres rosies par un fard léger, cou orné d’un fin ruban de perles. Mon frère, soudain, est entré dans ma chambre, plus pâle, plus maigre que jamais. Il m’a regardée comme s’il ne me reconnaissait pas, comme s’il me voyait pour la première fois, jamais je n’oublierai ce regard fiévreux, affolé, et m’a tendu une fleur de camélia d’un rouge éclatant : Porte-la à ton corsage, je t’en prie, fais cela pour moi. J’ai, cette fois encore, obéi. La journée s’est passée dans une sorte d’hébétude. La tête me tournait comme si cette fleur, pourtant sans parfum, exhalait un poison. Elle s’ouvrait peu à peu dans la chaleur de juin, découvrant, sous les pétales écarlates, des étamines jaunes, cireuses comme une chair malade. Tous, me semblait-il, ne voyaient que ça, ne parlaient que de ça : cette marque écarlate sur ma robe blanche. Mon mari lui-même, mon jeune mari flegmatique et timide, ne pouvait en détacher ses yeux. Et dans les travées de l’église, à la table du banquet, j’entendais encore, sous les vœux et les chants, ce prénom murmuré : Violetta. L’heure est venue de la nuit de noces, à laquelle nulle mère, nulle tante, nulle mystérieuse amie ne m’avait préparée. Non plus qu’à ceci : mon mari, mon jeune mari à la fade blondeur, changé en bête furieuse, déchirant mon corsage, masquant mon visage de ses mains, et hurlant dans un spasme ce prénom qui n’est pas le mien.

J’ai vite appris. Chaque nuit, la même cérémonie : mon mari, mon fade mari, posant un camélia entre mes seins, un drap sur mon visage, et à travers moi possédant Violetta. Elle est morte sous ce drap, l’oie blanche, la giovine sì bella e pura. Mais à sa place, nuit après nuit, une autre est née. Et cette autre a appris. À désobéir. À poser des questions. À oublier ses prières. À se refuser. Moi qui ai toujours joui d’une insolente santé, j’ai prétexté, soir après soir, faiblesses et vertiges pour condamner ma chambre. Mais je ne manquais pas de paraître aux repas avec, entre les seins, une fleur de camélia. Mon mari a fini par céder : Si tu veux savoir qui est Violetta, adresse-toi à ton frère. J’ai trouvé mieux : un dimanche, dans la maison de mon père, j’ai quitté la table du déjeuner en feignant un malaise. Les hommes, oies blanches, m’ont crue enceinte, je l’ai senti à leur regard inquiet, attendri, dégradant. Je suis allée droit à la chambre de mon frère. Les rideaux étaient tirés, le lit défait, l’air lourd d’une odeur d’éther et de pétales macérés. J’ai ouvert les fenêtres et là, dans la grande lumière d’août, j’ai vu, sur le secrétaire, le portrait d’une femme d’une étonnante beauté : cheveux de jais coiffés en bandeaux, yeux noirs voilés de grands cils, lèvres entr’ouvertes sur des dents blanches comme du lait et, dans le regard, une expression mêlée d’ardeur et de grâce enfantine. Dans un tiroir que je n’ai pas eu à forcer, des lettres : ces lettres que, tous, vous connaissez, et que j’ai découvertes incrédule, ces lettres où se lisait l’histoire dont dérive la mienne et que d’autres ont écrite pour moi sans jamais me la conter.

C’est ainsi, puisque vous me le demandez, que j’ai percé le secret de Violetta. Et avec lui celui des maisons aux volets fermés, des chuchotements obstinés, des linceuls de tulle et de satin – avec lui, la conspiration des pères, des frères et des maris.

Vous savez désormais le secret de ma vengeance. Car vengée, je le serai bientôt. De Violetta, ou pour Violetta, je l’ignore. Je ne distingue plus bien entre elle et moi. Entre la morte adulée, le cadavre dont mon frère -mon frère effrayant, fou, et froid- a demandé la translation de cimetière en cimetière, et mon corps, si plein, et blanc, et velouté, mais dont tous, bientôt, découvriront incrédules l’éclatante maladie. Une autre forme de translation, si vous voulez. Et qui, alliance ou rivalité, nous unit, Violetta et moi, dans la terre indistincte des filles sans nom.

Méthodique, j’ai d’abord pris pour amant le notaire de mon père, ce vieil homme au teint crayeux, au regard oblique, à la voix assourdie par une vie entière de secrets chuchotés. Il m’a suffi d’aller le voir éplorée, de lui dire que je soupçonnais mon mari de mener une double vie, voulais protéger de ses dévoiements l’enfant que je portais, pour qu’il m’offre conseils et consolation. J’ai vite appris de lui certains détails que les lettres ne m’avaient pas révélés. Et avec eux les gestes et les techniques, les caprices et les docilités auxquels plus tard se mesurerait mon métier. Tu es prodigieusement douée, soupirait le notaire, rêveur. Ses largesses ne suffisaient plus à mes projets -mes grands, mes belliqueux projets. Je l’ai convaincu de me présenter à ses amis : notables de province, nobles pères, frères dévoués, maris aimants, la terne clientèle des débuts de carrière. Tous connaissaient mon histoire- cette histoire que d’autres ont écrite pour moi sans jamais me la conter. Ils possédaient en moi la courtisane et la giovine sì bella e pura, l’oie blanche et la brune Violetta, la victime et l’idole. Ils profanaient à travers moi l’autel de leur respectabilité, les règles et les rites où s’alimentaient leur désir et leur hypocrisie. Comme ils étaient prompts, ceux-là qui avaient sacrifié Violetta, ceux-là qui, prétendant sacrifier Violetta à mon bonheur, nous avaient toutes deux écrasées, elle sous la charge de leur opprobre, moi sous celle de leur honneur, comme ils étaient prompts à me plier à leurs sombres fantaisies. À me couvrir d’argent et de bijoux, aussi. J’étais prête pour la grande scène, le grand jeu : j’avais de quoi m’installer à Paris. Mon mari, dans l’intervalle, avait appris à obéir et à ne pas poser de questions : j’en avais assez entendu, au creux du lit des notables, sur les voies tortueuses à travers lesquelles s’étaient édifiés la fortune et l’honneur de sa famille pour qu’il paie mon silence de ma liberté. Il m’a juste fait promettre de ne pas salir son nom.

Je ne demandais que ça : en finir pour de bon avec Blanche, née Duval et bien mariée. Ainsi est née celle que vous connaissez sous le nom de Rose Du Bois. Vous en avez vite su les fastes et les éclats, c’est ce nom qui bruissait dans vos fêtes, vos soirées à l’Opéra, sous vos masques de carnaval, ce nom qui rassasiait votre appétit de scandale, et que les hommes éperdus criaient à l’oreille des jeunes épousées. Rose Du Bois, couronnée reine de nuit à l’égal de Violetta, Rose Du Bois, au corsage orné de cattleyas, et dont la blondeur, la chair flamboyante, ont fini par éclipser son maigre fantôme brun. J’avais tout, j’avais presque gagné. Seule me séparait encore de la victoire mon insolente santé. Avec moi, ni fièvres ni langueurs, pas de toux déchirante ni de mal intérieur, rien de tout cela qui (avouaient ses anciens amants) prêtait aux étreintes de Violetta un incomparable goût d’agonie. J’avais beau pratiquer des amours multiples, sans protection et haut tarifées, je demeurais indemne, intacte, ennuyeusement saine : Blanche Duval toujours vivante en moi.

Voilà qui, désormais, est réglé. L’heure est venue de ma pleine vengeance. Comme il était beau, celui par qui elle s’accomplit, ce jeune provincial issu en droite ligne d’une famille respectable, fils et frère dévoué, dont les traits lisses, la peau douce, ne trahissaient rien des débauches non plus que de la maladie. Mon éclat se ternit, je perds formes et couleurs, mais porte, invisible, un trésor : une haute charge virale qu’à pleins bras je prodigue, transmets sans compter à vos pères, frères, et maris. Un peu de patience, encore : bientôt, seul subsistera de moi ce souvenir dévorant.

Je ne veux sur ma tombe ni roses ni cattleyas : rien d’autre qu’un roncier.

© Elisa Haberer / OnP

Je vous regarde

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Que mon apparence me préserve de tout romantisme !

10 min

Je vous regarde

Par Joy Sorman

Que regardent-ils ces spectateurs venus de toutes parts assister à la lente mue d’une femme succombant à la maladie gangrenant corps et âme ? La Traviata, ce grand opéra du tragique féminin, inspiré de la vie de Marie Diplessis, a insufflé à la romancière Joy Sorman une courte nouvelle aux échos dumassiens. À nouveau, étrangeté du corps et altérité, offrent un vaste potentiel romanesque. 


Il avait pourtant promis de m’épouser, juré même, il avait dit, mot pour mot : mon amour, je le jure.

Et moi qui n’avais rien demandé.

Il s’est agenouillé, solennel, a sorti de la poche poitrine de son veston une petite boîte de cuir bombé, contenant cet anneau serti de brillants qui, sur mon annulaire duveteux, scintillait.

Il n’a pas précisé quand mais a ajouté très bientôt, dès que possible, aux beaux jours certainement, nous nous marierons à la campagne, il a parlé de champs de coquelicots, de tonneaux de vin d’Arbois bien frais, de cochons grillés, d’orchestre sous la tonnelle, et je l’ai cru, cet inconnu.

Il n’était pas le premier à me tourner autour, j’avais pris l’habitude à force, j’en ai vu passer des tordus, des pervers, des sadiques, je croyais les repérer de loin maintenant, mais celui-là, va savoir pourquoi, j’ai eu confiance, j’ai baissé la garde ; je suis peut-être tombée amoureuse de son allure incertaine, sous le charme de son air empoté, un homme courtois, délicat, avec de beaux yeux de chat, étirés et piqués de jaune.

Il venait chaque dimanche à onze heures, parfois m’apportait une fleur ou un sachet de bonbons à la violette qu’il déposait à mes pieds sans un mot, se contenant de rougir – de plaisir ? de honte ? On se parlait à peine - les visiteurs payent pour passer le lourd rideau de velours rouge et regarder, c’est tout -, il murmurait un compliment – vous êtes radieuse ce matin, un teint de rose qui illumine ma journée.

J’aurais du me méfier, comment cet homme aurait-il pu admirer mon teint quand une immense barbe rousse me dévore le visage ?

Cela a commencé avec la puberté, d’abord un léger duvet au-dessus de la lèvre supérieure – on ne s’est pas inquiété -, puis quelques poils drus sur le menton et les joues – c’était disgracieux mais cela passait encore, on les arrachait à la pince, un par un -, et vers l’âge de 15 ans, le médecin du village a diagnostiqué un hirsutisme irréversible. Non contente d’être née rousse j’étais devenue la femme à barbe, une barbe de Viking épaisse et mousseuse, comme une plante grimpante qui envahissait petit à petit mon visage. Au début je la coupais, la taillais, la rasais chaque jour, mais la voyant repousser de plus belle, devenir dense, un véritable buisson de poils couleur feu et miel, j’ai renoncé.
Puis mon père m’a vendue à un forain. Après m’avoir déclarée impropre au mariage, inapte à l’enfantement.
Ce ne fut pas une si mauvaise nouvelle, j’allais échapper aux travaux des champs qui cassent le dos, à une vie de misère et de frustrations à la ferme, à une mère et trois sœurs acariâtres ; et j’espère que la bourse de pièces d’or que mon père a obtenu en échange de sa fille monstrueuse a amélioré l’ordinaire de la famille. Et surtout j’allais connaître la grande ville, mon acquéreur – un homme bedonnant à canotier, vénal mais attentionné – étant propriétaire d’une trentaine de baraques de foire sur le Champ de Mars à Paris, un bel emplacement.

On m’a installée dans une roulotte aménagée avec soin – rideaux de dentelle, matelas de laine, tapis afghan et fauteuil crapaud -, dans le secteur réservé aux phénomènes, en compagnie des nains Hans et Frieda, de Krao l’enfant-singe et de deux paires de siamois venus de Belgique - des âmes nobles et des cœurs purs dans l’écrin de leurs difformités.
Je travaille du jeudi au dimanche, offerte aux regards et aux fantasmes, le reste de la semaine je parresse au lit ou je marche au hasard dans Paris, le visage dissimulé par un voile sombre ; je dépense les quelques sous gagnés à m’offrir en pâture - revues illustrées, de l’ambre pour parfumer ma barbe, du noir pour les paupières et des boîtes de calissons.

J’ai mis quelques mois à m’habituer aux réactions parfois vives des spectateurs - cris de stupeur des enfants, parfois de dégoût, qui s’échappent des bras de leurs parents pour tirer sur ma barbe, femmes qui m’insultent, hommes gênés qui me prennent en pitié ou se tapent les cuisses en me découvrant, regards condescendants, méprisants, mais parfois bienveillants et tendres, et même chiens qui me reniflent avec intérêt en agitant la queue.
Je me découvre éminemment exotique dans leurs yeux, un prodige, un rebut de la nature qui excite leur imagination et leurs sens. Attirante et repoussante, objet de crainte et de ravissement, certains me demandent de leur signer des autographes, d’autres de soulever ma robe, personne ne reste insensible à l’ambiguité de mon sexe, au trouble de mon genre, aux déviances de mon corps.

Il me faudra du temps pour prendre conscience de la charge érotique que je porte en moi comme une petite bombe. On me désire, d’un désir inavouable et brutal, et les femmes aussi, qui voudraient se réfugier dans ma barbe et empoigner mes seins.
Je suis la femme la plus demandée de la foire.
Seule la célèbre Vénus hottentote m’a fait de l’ombre quelque temps ; la nouvelle de son arrivée a couru dans toute la ville et dès le lendemain un attroupement d’hommes fiévreux s’était formé une heure avant l’ouverture des portes. Comment rivaliser avec celle que les scientifiques considéraient comme le chaînon manquant entre l’homme et l’animal ? Ma barbe faisait pâle figure aux côtés de sa spectaculaire morphologie, une magnifique stéatopysie, hypertrophie des hanches et des fesses, doublée d’une extraordinaire macronymphie qui faisait saillir ses organes sexuels. La Vénus hottentote embrasait les imaginations, réveillait les pulsions des plus apathiques des hommes, et moi qui ne souffre pas que l’on touche ma barbe, j’enrageais d’en voir certains palper sans vergogne les fesses de la Vénus – si absente à elle-même, si résignée que me venait l’envie de la sauver, de l’emmener loin d’ici. Un désir de fuite que je n’avais jamais formulé pour moi-même.

Un mois plus tard, la Vénus noire avait disparu, sans doute livrée ailleurs à d’autres regards affamés.
Après son départ, les hommes se sont à nouveau tournés vers moi. Est-ce que j’attendais l’amour ? Je ne l’apercevais jamais dans l’expression désordonnée et fougueuse de tous ces visiteurs défilant tels des maquignons à la foire aux bestiaux.
Les propositions n’ont pas manqué pourtant, certaines explicites, crues, agrémentées de fortes sommes d’argent, d’autres plus retorses, timides, détournées. Des billets doux glissés dans ma barbe ou des demandes officielles chuchotées furtivement à l’oreille, pour les plus malotrus des claquements de bouche, des clins d’œil, un geste obscène.

J’ai refusé, systématiquement, je les ai éconduits les uns après les autres, même les plus fortunés, je tenais à céder ma virginité non pas au plus offrant mais au plus délicat.
Car je marche dans les pas de Sainte Wilgeforte, la protectrice des femmes à barbe. Quand son père voulut la marier de force alors qu’elle avait fait vœu de virginité, elle implora l’aide de Dieu et le miracle se produisit : la jeune femme se retrouva barbue du jour au lendemain, ce qui découragea immédiatement son prétendant. Mais Sainte Wilgeforte en paya le prix fort, crucifiée pour sorcellerie.
Et Rodolphe est arrivé, avec ses manières gracieuses, ses attentions, et une soudaine demande en mariage. J’étais peut-être fatiguée de cette vie, j’ai accepté timidement, pas vraiment convaincue, mais dans les jours suivants quelque chose a pris forme, densité, j’ai laissé prospérer cet amour naissant, et en une semaine il avait pris toute la place. J’allais donner ma virginité à un inconnu qui n’avait même pas proposé de rendez-vous galant en dehors de la foire ; j’aurais dû trouver ça louche bien sûr.

Le dimanche suivant j’ai mis ma plus belle robe à bustier en organza jaune, fardé mes yeux, frictionné ma barbe d’huile de vison pour la faire briller, puis je l’ai piquée de boutons de rose odorants - j’étais prête, le cœur dilaté, ma décision prise.
J’ai attendu Rodolphe en vain, c’était la première fois depuis des mois qu’il ne se présentait pas. Vers dix-sept heures, une vieille femme osseuse et élégante, en toilette parme, a passé le rideau, s’est penchée à mon oreille et a dit d’une voix blanche que son fils Rodolphe ne viendrait pas, plus, plus jamais. Après quoi la femme est sortie sans un regard, sans une hésitation.
S’est-il joué de moi ou a-t-il eu peur ?
J’ai été bien naïve, il ne faudra pas se lamenter malgré la douleur qui cingle le ventre, le fer rouge de l’orgueil blessé, la perte de l’amour, misérable sentiment qui nous fait pleurer ce qu’on possédait à peine.

Rodolphe est-il un nanti de plus, sans courage et sans audace, qui recule au dernier moment, qui soumet son désir aux convenances, sa joie de vivre à sa réputation ?
Je ne serai pas une victime, il faut sacrifier les sentiments pas les femmes, je n’ai pas vécu de l’amour et je n’en mourrai pas. Que la barbe me préserve de tout romantisme !

Faudra-t-il alors que j’épouse l’homme-éléphant, un cul de jatte ou un avaleur de sabres ? Les créatures et les saltimbanques sont-ils voués à faire monde ensemble, à l’écart des bien nés, de tous ceux qui nous regardent sans nous voir ?

Vous avez pourtant besoin de nous, besoin des monstres pour vous sentir vivants ; nous les catins, les naines, les atrophiées, les amazones, les femmes à barbe, les Vénus noires, nous rendons vos vies supportables, belles parfois, nous peuplons vos songes, à la fois fées et sorcières, protectrices et tentatrices.

Les nuits suivantes j’ai beaucoup rêvé de Rodolphe – Rodolphe en cage, Rodolphe sous le fouet, Rodolphe tatoué des pieds à la tête, Rodolphe lilliputien tenant dans le creux de ma main ou logé dans ma longue barbe comme dans un nid de fougères. Et le matin je peignais cette barbe honnie et vénérée avec plus de soin encore qu’à l’accoutumée, avec rage même, la parfumant exagérément – jus de magnolia, bâton d’encens, extrait de cassis -, la lissant pendant des heures ou nouant de petites tresses serrées par des rubans de soie.
Dans le miroir, j’apercevais cette toison rousse mouillée de larmes, alors je me redressais, me composais un air hautain, une allure distinguée et théâtrale, avant de passer le rideau, de prendre place sur la petite estrade, la banquette moelleuse, dans le halo trouble de la lampe à huile.

Je suis la femme à barbe, désormais c’est moi qui vous regarde.    

Dessine-moi La Traviata

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Une minute pour comprendre l’intrigue

1:19 min

Dessine-moi La Traviata

Par The Motion Fighters

Dans la mise en scène de Benoît Jacquot, l’Olympia de Manet domine la scène de l’Opéra Bastille. Le tableau fit scandale en 1863. La prostituée attend son client, le regard fier, la mine assurée. Est-ce Violetta ? Comme Olympia, l’héroïne la plus célèbre de Verdi s’offre au spectateur comme elle s’offre à l’amour, allant jusqu’à mourir sur scène, ultime sacrifice de la femme à son amant. Ou serait-ce le spectateur qui la dénude et s’immisce dans son intimité, à l’image de ce milieu voyeuriste mondain ? Toujours est‑il que ces deux femmes nous défient et subjuguent celui qui ne peut s’empêcher de les regarder.  

La Traviata vue du ciel

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Le décor survolé par un drone

1:35 min

La Traviata vue du ciel

Par Philippe Meicler

Entre influences picturales et références cinématographiques, La Traviata, mise en scène par Benoît Jacquot à l'Opéra Bastille, s'épanouit dans un décor monumental. Nous vous proposons de le découvrir en le survolant avec un drone.

  • La Traviata by Giuseppe Verdi - "Libiamo ne' lieti calici" (Ermonela Jaho & Charles Castronovo)
  • La Traviata by Giuseppe Verdi (Ermonela Jaho)
  • La Traviata by Giuseppe Verdi (Charles Castronovo)
  • La Traviata by Giuseppe Verdi (Ermonela Jaho)
  • La Traviata - "Noi siamo zingarelle" (Chœur des bohémiennes)
  • La Traviata - Trailer
  • La Traviata (Saison 18/19)- Acte I - Ludovic Tézier

  • La Traviata (Saison 18/19)- Acte I - Jaho, Castronovo, Tézier, Gay, Oncioiu

  • La Traviata (Saison 18/19)- Acte I - Ermonela Jaho, Charles Castronovo

  • La Traviata (Saison 18/19)- Acte I - Ermonela Jaho, Charles Castronovo

Accès et services

Opéra Bastille

Place de la Bastille

75012 Paris

Transports en commun

Métro Bastille (lignes 1, 5 et 8), Gare de Lyon (RER)

Bus 29, 69, 76, 86, 87, 91, N01, N02, N11, N16

Calculer mon itinéraire
Parking

Q-Park Opéra Bastille 34, rue de Lyon 75012 Paris

Réservez votre place

Dans les deux théâtres, des places à tarifs réduits sont vendues aux guichets à partir de 30 minutes avant la représentation :

  • Places à 35 € pour les moins de 28 ans, demandeurs d’emploi (avec justificatif de moins de trois mois) et seniors de plus de 65 ans non imposables (avec justificatif de non-imposition de l’année en cours)
  • Places à 70 € pour les seniors de plus de 65 ans

Retrouvez les univers de l’opéra et du ballet dans les boutiques de l’Opéra national de Paris. Vous pourrez vous y procurer les programmes des spectacles, des livres, des enregistrements, mais aussi une large gamme de papeterie, vêtements et accessoires de mode, des bijoux et objets décoratifs, ainsi que le miel de l’Opéra.

À l’Opéra Bastille
  • Ouverture une heure avant le début et jusqu’à la fin des représentations
  • Accessible depuis les espaces publics du théâtre
  • Renseignements 01 40 01 17 82

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  • Places à 35 € pour les moins de 28 ans, demandeurs d’emploi (avec justificatif de moins de trois mois) et seniors de plus de 65 ans non imposables (avec justificatif de non-imposition de l’année en cours)
  • Places à 70 € pour les seniors de plus de 65 ans

Retrouvez les univers de l’opéra et du ballet dans les boutiques de l’Opéra national de Paris. Vous pourrez vous y procurer les programmes des spectacles, des livres, des enregistrements, mais aussi une large gamme de papeterie, vêtements et accessoires de mode, des bijoux et objets décoratifs, ainsi que le miel de l’Opéra.

À l’Opéra Bastille
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