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Agathe Poupeney / OnP

Ballet

Tree of Codes

Wayne McGregor, Olafur Eliasson, Jamie xx

Opéra Bastille

du 26 juin au 13 juillet 2019

1h15 sans entracte

Le 14 Juillet est une représentation exceptionnelle réservée aux associations caritatives partenaires.

Tree of Codes

Opéra Bastille - du 26 juin au 13 juillet 2019

Synopsis

Tout à la fois musical, scénographique et chorégraphique, Tree of Codes est un véritable terrain d’expérimentation. Réunissant les danseurs de la Company Wayne McGregor et du Ballet de l’Opéra national de Paris, cette pièce est le fruit d’une collaboration d’artistes où l’espace, le corps et l’architecture interagissent. L’oeuvre ouvre le champ des perceptions en plongeant le spectateur dans un jeu de miroirs déroutant signé par le plasticien Olafur Eliasson et un espace sonore aux accents techno-pop conçu par le musicien Jamie xx. Une symbiose parfaite entre fluidité du mouvement et pulsations rythmiques.

Durée : 1h15 sans entracte

Artistes


Équipe artistique

Distribution

  • mercredi 26 juin 2019 à 19:30
  • jeudi 27 juin 2019 à 19:30
  • samedi 29 juin 2019 à 14:30
  • samedi 29 juin 2019 à 20:00
  • dimanche 30 juin 2019 à 16:00
  • lundi 01 juillet 2019 à 19:30
  • mercredi 03 juillet 2019 à 19:30
  • jeudi 04 juillet 2019 à 19:30
  • samedi 06 juillet 2019 à 19:30
  • dimanche 07 juillet 2019 à 16:00
  • lundi 08 juillet 2019 à 19:30
  • mercredi 10 juillet 2019 à 19:30
  • jeudi 11 juillet 2019 à 19:30
  • vendredi 12 juillet 2019 à 19:30
  • samedi 13 juillet 2019 à 19:30

Dernière mise à jour le 10 juillet 2019, distribution susceptible d’être modifiée.

Dernière mise à jour le 10 juillet 2019, distribution susceptible d’être modifiée.

Dernière mise à jour le 10 juillet 2019, distribution susceptible d’être modifiée.

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Dernière mise à jour le 10 juillet 2019, distribution susceptible d’être modifiée.

Dernière mise à jour le 10 juillet 2019, distribution susceptible d’être modifiée.

Dernière mise à jour le 10 juillet 2019, distribution susceptible d’être modifiée.

Dernière mise à jour le 10 juillet 2019, distribution susceptible d’être modifiée.

Dernière mise à jour le 10 juillet 2019, distribution susceptible d’être modifiée.

Les Étoiles, les Premiers Danseurs, le Corps de Ballet de l’Opéra national de Paris et les danseurs de la Company Wayne McGregor
Musique enregistrée

Commande de l’Opéra national de Paris, du Manchester International Festival, de Park Avenue Armory, de Faena Art, du Sadler’s Wells et de Aarhus, capitale européenne de la culture 2017.
Production du Manchester International Festival, du Ballet de L’Opéra National de Paris et du Studio Wayne McGregor

Galerie médias

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Podcast Tree of Codes

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"Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris" - en partenariat avec France Musique

07 min

Podcast Tree of Codes

Par Jean-Baptiste Urbain, France Musique

Avec « Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris », nous vous proposons des incursions originales dans la programmation de la saison à la faveur d’émissions produites par France Musique et l’Opéra national de Paris. Pour chacune des productions d’opéra et de ballet, Nathalie Moller pour le lyrique et Jean-Baptiste Urbain pour la danse, vous introduisent, avant votre passage dans nos théâtres, aux œuvres et aux artistes que vous allez découvrir. 

© Ravi Deepres

Scénographier la perception

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Olafur Eliasson et Tree of Codes

06 min

Scénographier la perception

Par Matthieu Poirier

Olafur Eliasson, artiste dano-islandais à la réputation internationale, signait en 2017 sa première collaboration avec le chorégraphe Wayne McGregor en créant pour le ballet Tree of Codes un décor déjouant perspective et perception. Retour sur le travail d’un artiste total.    


Les premières minutes du spectacle annoncent d’emblée le programme scénographique pensé par le plasticien : une fois l’espace plongé dans l’obscurité totale, les danseurs qui évoluent sur la scène sont équipés de points blancs et lumineux, fixés à l’endroit de leurs articulations, rappelant par là-même les bandes blanches cousues par Étienne-Jules Marey sur les combinaisons noires de sujets (se déplaçant devant un fond également noir) dans le but d’analyser la structure du mouvement. Ses prises de vue dites « chronophotographiques » servirent de références, autour de 1912, lors de la naissance de l’art abstrait, autant à Marcel Duchamp pour son Nu descendant l’escalier n° 2 qu’au futuriste Giacomo Balla et à ses vibrantes Compenetrazioni iridescenti. Ouvrir ainsi Tree of Codes marque la pensée structuraliste d’Eliasson. Cette abstraction - pour ne pas dire extraction -, de l’apparence « naturelle » des danseurs, vêtus de couleurs primaires, donne naissance à une nébuleuse lumineuse et agitée. De la même façon, ces corps de danseurs, par la suite bel et bien visibles car dûment éclairés, se verront mis en abîme, démultipliés dans l’espace par un jeu de réflexion.

Dans ce vaste projet moderne de décloisonnement et d’ouverture des Beaux-Arts vers le temps et l’espace réels de la perception, le propos d’Eliasson n’est pas tant de donner naissance à un objet ou à une image que de questionner l’instabilité et l’inconstance de notre perception. En effet, le cadre posé par l’artiste est celui d’une chorégraphie libre, en quelque sorte sans partition. L’adaptation d’Eliasson à la logique d’un spectacle de danse était primordiale. Car les corps concernés ici par les effets ne sont plus ceux des visiteurs d’une de ses expositions, mais ceux de professionnels exécutant une chorégraphie précisément orchestrée. Toutefois, et ce détail revêt une importance considérable, des spectateurs de Tree of Codes, pourtant bien assis sur leur fauteuil, se trouvent, au cours de la représentation, pointés de façon erratique par une poursuite lumineuse, laquelle renvoie alors leur image dans le fond de la scène, donnant une seconde l’impression qu’ils s’y situent. « Mon travail porte sur l'implication du public », lorsque « s’opère une inversion du sujet et de l’objet, précise l’artiste, le spectateur devient l’objet, l’environnement devient le sujet. » Eliasson questionne les propriétés spatiales, les limites de la scène pré-existante. De même, l’idée de Bertolt Brecht de « briser l’illusion théâtrale » n’est pas non plus écartée par Eliasson dans la mesure où un outil essentiel du dispositif scénique de Tree of Codes est l’illusion avérée, produite par des jeux d’éclairage et des glaces sans tain. Cette illusion est alors explicite ; elle dit son nom et s’exonère ainsi de tout dessein manipulateur.    
Tree of Codes
Tree of Codes © Ravi Deepres
Pourtant sobre, l’espace scénique conçu par l’artiste s’avère intrinsèquement disjoint et fragmenté, du moins tel qu’il se présente sur la rétine depuis son support matériel. Parce qu’il se dérobe à toute limitation spatio-visuelle, il rappelle incidemment l’œuvre tout entière de Christian Megert, mais aussi son manifeste Ein Neuer Raum (1962), dans lequel l’artiste suisse énonce son souhait de construire, à l’aide de miroirs basculés, mobiles et disloqués mais aussi de glaces sans tain et de néons, un « espace sans début ni fin ni frontières » qui serait simultanément « immobile et en mouvement ». De la même façon, la structure de la scène ne résulte pas d’un procédé technologique de pointe, et tous les miroirs d’Eliasson - qui rendent par ailleurs la position spatiale des danseurs toujours incertaine - sont pour la plupart susceptibles de pivoter sur eux-mêmes. Ils sont découpés en demi-cercles ou en rayons et voient jaillir sporadiquement des rais de lumière de leurs diverses jonctions. Ces « découpes » successives de l’espace scénique ont un impact considérable sur l’unité spatio-temporelle du spectacle et sur les seuils de la perception ; la réalité sensible, telle qu’elle est ici offerte à voir, oscille constamment entre proximité et distance, plein et vide, transparence et opacité - une telle démarche s’avérant d’autant plus significative qu’elle résonne de l’action initiale de l’auteur du livre Tree of Codes : Jonathan Safran Foer avait ainsi façonné son propre récit en découpant dans les pages du livre de Bruno Schulz, The Street of Crocodiles. En supprimant des phrases entières, Foer en faisait surgir de nouvelles, dans un jeu complexe de correspondances, de transparence et d’opacité, à la fois entre les plans narratifs et les plans matériels des différentes pages.
Tree of Codes
Tree of Codes © Joe Chester Fildes
Pour Tree of Codes, Eliasson renoue avec l’idée que l’abstraction la plus radicale, c’est-à-dire en rupture claire avec l’imagerie, a parfois été pensée par les artistes et leurs commanditaires comme une véritable toile de fond ou, en d’autres mots, un arrière-plan faisant décor - en rappelant à elle la figure humaine (peinte ou sculptée), cette représentation centrale de la peinture dite figurative. Car si cette dernière fut naturellement exclue de l’art abstrait, elle revient sous la forme bien vivante d’un spectateur ou d’un danseur, tous deux mis à l’épreuve dans l’exercice usuel de leur perception. Une telle réalisation scénique reflète ainsi pleinement les préoccupations singulières d’Eliasson et poursuit (parce qu’« on ne crée rien, on ne fait que poursuivre », rappelait Henri Matisse) de la sorte un type particulier d’abstraction qui connut un développement considérable au cours des années 1960-70 connu sous le nom de cinétisme, d’art optique ou encore de perceptual art. Cette sensibilité esthétique, fondée sur la participation et la phénoménologie, connut ses réalisations les plus marquantes avec certains artistes, dont Eliasson s’est par ailleurs maintes fois réclamé, tels que Jesús Rafael Soto, Heinz Mack, Julio Le Parc, Carlos Cruz-Diez, Francisco Sobrino, François Morellet ou encore Christian Megert. Ayant eux-mêmes puisé dans le constructivisme, l’enseignement du Bauhaus, les sciences cognitives ou encore la théorie de l’information, et collaboré avec des metteurs en scène ou des chorégraphes, ils donnent naissance, comme le fait ici Eliasson, à de véritables machines de vision, aussi réceptives et réactives que le regardeur lui-même, pour autant que ce dernier, bien sûr, consente à traverser le miroir.

Matthieu Poirier est historien de l’art. Il a écrit sa thèse de doctorat sur l’art optique et cinétique (Université Paris-Sorbonne). Il fut à ce titre commissaire de l’exposition « Dynamo » aux Galeries nationales du Grand Palais en 2013.

© Flavien Prioreau

Jamie xx, du club à l’Opéra

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Regard sur « Tree of Codes »

05 min

Jamie xx, du club à l’Opéra

Par Lucien Rieul, Trax Magazine

Un chorégraphe, un artiste-plasticien et un compositeur de musique électronique créent un spectacle inspiré d’un livre, lui-même basé sur un autre livre. Voilà un pitch qui ne brille pas par sa clarté, plutôt par ses ramifications. Commandée à Wayne McGregor, Olafur Eliasson et Jamie xx et créée au Manchester International Festival, la pièce Tree of Codes est inspirée du livre-sculpture éponyme de Jonathan Safran Foer – ce dernier étant adapté de The Street of Crocodiles, un recueil de l’auteur polonais Bruno Schulz dont les pages ont été évidées, les mots subtilisés.

Ce projet, présenté pour la première fois en 2017 au Palais Garnier est de retour à l’Opéra Bastille du 26 juin au 13 juillet 2019. Une occasion de (re)découvrir une facette inconnue et grandiose de l’univers sonore de Jamie xx.


Lorsqu’il sort en 2011 l’album We are New Here, Jamie xx jouit déjà d’une renommée considérable – la même année, l’album éponyme des xx, sorti en 2009, sera certifié disque de platine. Les boîtes à rythmes, le côté post-punk du trio pop minimaliste (alors un quatuor), c’est lui. Producteur de xx, instrumentiste, Jamie Smith fait une entrée fracassante comme artiste solo lorsqu’il remixe l’album I’m New Here du monumental Gil-Scott Heron. Le phrasé de ce pionnier du Spoken Word, à qui l’on doit notamment The Revolution Will Not Be Televised, Jamie xx le pare de teintes electronica et post-dubstep. Peut-être est-ce l’écoute de cette collaboration inattendue, ambitieuse et réussie, qui incitera le Manchester International Festival, le Ballet de l'Opéra et le Studio Wayne McGregor à proposer à Smith de participer, aux côtés du chorégraphe Wayne McGregor et de l’artiste-plasticien Olafur Eliasson, à l’aventure Tree of Codes.

« Je ne connaissais rien au ballet avant ça, déclarait en 2015 le compositeur au quotidien britannique The Independent. Je reçois beaucoup d’offres de collaboration, mais celle-ci était particulièrement excitante. Tout le monde était vraiment investi et enthousiaste à l’égard du projet. » Jamie xx était déjà familier du travail d’Eliasson : l’Islandais est l’un des rares artistes à avoir investi le gigantesque Turbine Hall du Tate Modern de Londres, où son Weather Project irradiait l’espace de la lueur ardente d’un petit soleil ; ses œuvres sont également présentes dans les collections du monde entier. S’il rencontre Wayne McGregor et assiste aux recherches chorégraphiques des danseurs, Smith dit s’être beaucoup inspiré du livre Tree of Codes de Jonathan Safran Foer. « C’est la forme plus que le contenu du livre qui m’a intéressé. Ce livre m’a pris aux tripes. »

De Paul Simon à Gloria Gaynor, le premier album de Jamie xx regorgeait de samples empruntés et imbriqués dans ses propres compositions ; dans son second disque sorti en 2015, In Colours, le procédé devient encore plus présent, et les refrains de Could Heaven Ever Be Like This d’Idris Muhammad (1977) et Good Times de The Persuasions (1972) deviennent carrément les thèmes principaux de deux morceaux, Loud Places et I Know There’s Gonna Be (Good Times). Un procédé proche des phrases découpées de Foer, composées en extrayant quelques mots choisis du texte originel de Bruno Schulz. Pour Tree of Codes, ce sont des chansons de Mickey Newbury et Patrick Cassidy qui serviront de matériaux d’assemblage sonores.    
Tree of Codes
Tree of Codes © Joel Chester Fildes

Mais Jamie Smith ne se contente pas de retravailler le chant des autres ; sur plusieurs morceaux, notamment son tube I’ll Be There For You, c’est Romy Madley Croft des xx qui pose sa voix. Pour ce projet inédit, le compositeur a fait appel à la chanteuse Okay Kaya. Son timbre lyrique, à l’instar des arrangements du quatuor Iskra Strings que l’on entend sur certains passages de Tree of Codes, nous rappellent que malgré sa contemporanéité, Smith a tissé des liens avec le répertoire classique de l’opéra. « J’ai pu créer des morceaux que je n’aurais jamais enregistrés sur un album », écrit-il.

La technologie, un thème cher à Wayne McGregor, est aussi présente dans la bande-son de Jamie xx. Qu’elle soit incarnée par les synthétiseurs et les boîtes à rythme empruntées à la house ou à la techno – dont les rythmes s’installent parfois pour donner à la scène des allures de nightclub – ou par le processus même à partir duquel le Londonien a composé sa musique. Dans une interview accordée à The Creators Project, McGregor explique : « Jamie xx a développé un algorithme qui, d’une certaine manière, « jouait » les pages [de Tree of Codes], créant ainsi une base rythmique par-dessus laquelle il pouvait composer les mélodies. » À mi-chemin entre émotion et abstraction, la musique de Tree of Codes est inséparable de la scénographie et de la danse, raison pour laquelle elle n’a pas été éditée en disque. La présentation de ce projet jusqu’au 23 février, au Palais Garnier, est une occasion unique de découvrir une facette inconnue et grandiose de l’univers sonore de Jamie xx.    

Écouter l'album « In Colour » de Jamie xx


  *Tree of Codes est une commande de l’Opéra national de Paris, du Manchester International Festival, de Park Avenue Armory, de Faena Art, du Sadler’s Wells et de Aarhus, capitale européenne de la culture 2017. Production du Manchester International Festival, du Ballet de l’Opéra national de Paris et du Studio Wayne McGregor.   

© Little Shao / OnP

Livres oubliés du XXe siècle

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Tree of Codes inspire l’écrivain Yannick Haenel

11 min

Livres oubliés du XXe siècle

Par Yannick Haenel

Tree of Codes, créé en 2017 à l’Opéra, puise ses racines dans le roman éponyme de Jonathan Safran Foer, qui s’inspire lui-même de The Street Of Crocodiles de l’auteur Bruno Schulz. Ce dernier reprend vie sous la plume de Yannick Haenel, qui offre un dialogue au croisement d’un répertoire classique et de la création contemporaine.    

Qu’est-ce que le printemps sinon une résurrection d’histoires ? Bruno Schulz

Cette révélation m’a été faite un soir, à Bruxelles, dans un club de jazz. J’avais l’habitude d’y aller chaque vendredi après ma semaine de travail à l’École des Arts Visuels de La Cambre. J’aimais y venir en sortant de mon cours, vers dix-neuf heures, bien avant le début du concert, afin de me détendre en buvant l’un de ces whiskies pur malt qui font la réputation de ce club, et profiter de la beauté de ce lieu qui avait la forme reposante d’un écrin — un écrin de velours nocturne (bordeaux, vert bouteille) — un écrin sphérique dont la rondeur moelleuse faisait penser à un petit théâtre à l’italienne, avec son balcon à l’étage où j’avais ma table, et d’où je ne me lassais pas de contempler les deux mystérieux piliers verts en acier chromé plantés au milieu du club.

Lazlo et Bettina n’allaient pas tarder, ils arrivaient en général vers vingt heures, et nous commandions aussitôt nos cocktails favoris : Chien Enragé pour Lazlo, Femme Fatale pour Bettina, et pour moi un Georges Simenon (vodka-pamplemousse-goût fumé).

Ils enseignaient eux aussi à La Cambre : Bettina était architecte, Lazlo plasticien, et nous aimions, chaque vendredi, faire le point sur nos cours, sur les attentes de nos étudiants, sur l’exigence qui nous poussait à chercher de nouvelles manières de transmettre notre passion.

J’avais justement commencé en septembre un cours un peu spécial, disons même hétérodoxe, qui s’intitulait « Histoire des livres oubliés du XXe siècle » ; je défendais l’idée selon laquelle les livres célèbres ne forment qu’un écran derrière lequel d’autres livres, réputés mineurs, participent en réalité à la véritable histoire de la littérature, qui relève selon moi du secret. Ces livres ne subissaient pas l’oubli, ils l’avaient programmé : ils se l’étaient incorporé afin de bénéficier de cette dimension du secret dans lequel une œuvre véritable continue à mûrir après avoir été écrite. Je postulais que chacun de ces livres avait soigneusement dissimulé une révélation à travers ses phrases ; et c’était l’existence même de cette révélation qui faisait que ces livres étaient de la littérature, et même de la grande littérature : sans secret, disais-je à mes étudiants, pas de littérature — sans révélation, pas de livre.

Ainsi avais-je déjà consacré plusieurs heures à étudier avec eux Je brûle Paris de Bruno Jasienski, Le Capitaine au long cours de Roberto Bazlen, Encyclopédie des morts de Danilo Kis, Livres des pirates de Michel Robic, Petersbourg d’Andreï Biely ; et aujourd’hui même j’avais commencé à leur parler des Boutiques de cannelle de Bruno Schulz.

Une petite hérésie littéraire s’était ainsi constituée, qui avait d’abord surpris mes étudiants, plus habitués aux grands noms qu’à celui des outsiders, mais qui semblait leur plaire : ce que j’espérais, à terme, c’étaient qu’ils adhèrent à cette conspiration, que chacun d’eux participe à cette contre-histoire, et qu’en un sens ils fassent partie du secret.

J’étais impatient d’en parler à Lazlo et Bettina : le livre de Bruno Schulz se prêtait parfaitement à ce genre de spéculations dont ils raffolaient tout comme moi. L’écrivain polonais y élaborait en effet — à travers la figure de son père qui jouait le rôle d’un prophète d’Israël — une théorie nouvelle de la Genèse : la création du monde se répétait dans une petite ville de Pologne, en famille, selon des lois exubérantes qui, renvoyant à la Bible, la pervertissaient.

J’aime les théories ; j’aime chercher dans les livres ce qui, dit-on, n’y est pas (mais qu’y a-t-il d’autre dans les livres que des correspondances, des allusions, des signes ?) ; j’aime penser que les livres se parlent à travers le temps — qu’ils se réécrivent les uns les autres : ainsi de Schulz qui réécrit Kafka, lequel réécrit Kierkegaard, lequel ne cesse, comme Kafka et Schulz, de réécrire la Bible, et plus particulièrement le sacrifice d’Isaac par son père Abraham.

Ainsi, dans ce livre soi-disant mineur — Les Boutiques de cannelle —, derrière les vitrines de la rue des Crocodiles, s’accomplissait, j’en étais sûr, ce que Kafka, vingt ans plus tôt, avait appelé de ses vœux une « nouvelle kabbale », c’est-à-dire une écriture sacrée, capable à la fois de manifester la structure cachée du monde et de rallumer le feu de la parole.

J’imaginais déjà avec plaisir la surprise de Lazlo et de Bettina, mais aussi leurs réticences : ils ne se laisseraient pas faire si facilement, la soirée promettait d’être joyeuse.

Je rêvassais, sourire aux lèvres, face aux deux gros piliers verts : il n’était pas possible qu’ils fussent érigés en plein milieu de la salle par une maladresse architecturale : ils étaient si imposants qu’ils obéissaient forcément à un plan ; et voici qu’à la faveur d’un miroitement (car le premier étage du club est tapissé de miroirs où viennent s’iriser les reflets du rez-de-chaussée), ces deux piliers s’étaient déformés jusqu’à vriller sur eux-mêmes comme les colonnes torses que le Bernin a sculptées pour le baldaquin de la basilique Saint-Pierre de Rome.

Je m’apprêtais à commander un deuxième cocktail au serveur qui s’avançait vers ma table, lorsque celui-ci, au lieu de prendre mon verre, s’assit dans le fauteuil-club qui me faisait face.

— Pourquoi étudiez-vous Bruno Schulz ? me demanda-t-il.

Je n’eus pas le temps de répondre :

— Depuis la Création du monde jusqu’au ghetto de Varsovie, poursuivit-il, l’emplacement des trous n’a cessé d’être communiqué par le rite, les sacrifices, la prière ; et avec la Shoah, la transmission des trous s’est brisée.

— Quels trous ? demandai-je.

Il ne releva pas ma question. Je distinguais mal les traits de son visage : il s’était assis à contre-jour, et avec l’éclairage tamisé du club, toute sa personne demeurait dans l’ombre, mais les deux piliers, en encadrant sa silhouette, semblaient l’auréoler ; il me vint même à l’esprit, d’une manière un peu loufoque, que sa présence émanait de l’espace entre les piliers.

— La Shoah n’a pas interrompu le processus, continua-t-il : c’est le processus qui a en quelque sorte profité de la Shoah pour s’enrayer. C’est pourquoi il est maintenant nécessaire que la parole continue à frayer à travers des « voies parallèles du temps », comme les nomme Bruno Schulz. La parole passe par les trous, et ces trous sont désormais communiqués par la littérature, par la poésie, par les romans. Avez-vous lu Tree of codes de Jonathan Safran Foer ?

Là encore, je n’eus pas le temps de répondre : le jeune homme continuait son monologue sans se préoccuper de moi.

Jonathan Safran Foer a compris qu’il faut lire les livres en ouvrant la fenêtre qu’ils contiennent. Cette fenêtre est proportionnée au secret que le livre transporte avec lui, c’est-à-dire à la mémoire qui trame ses phrases. Jusqu’où parvenez-vous à voir lorsque vous lisez ?

Je voulus répondre, mais il semblait parler sans me voir.

— Un vrai livre crée une brèche dans le langage : il troue le temps, il traverse les siècles jusqu’à devenir le contemporain des gestes de Dieu ; dans un vrai livre, quel que soit ce qui y est raconté, on assiste à l’engendrement de la lumière, du ciel et des océans. C’est pourquoi Jonathan Safran Foer a découpé au ciseau des phrases dans Les Boutiques de cannelle : en trouant le livre, il retrouve la fenêtre qui donne sur la Genèse.

Je m’aperçus qu'un livre était posé sur la petite table entre nous, juste à côté de mon verre.

Les phrases de Bruno Schulz donnent sur les premiers temps comme un hublot donne sur la mer. Vous savez que Noé a percé une fenêtre dans l’Arche : c’était pour lâcher la colombe ; pour voir la Terre surgir des eaux. Eh bien, cette fenêtre est toujours ouverte : elle perce les esprits, elle creuse un tunnel à travers les livres — elle fait communiquer les siècles les uns avec les autres. Si vous vous penchez sur une phrase et regardez à l’intérieur de chaque mot, vous verrez le temps qui se traverse lui-même depuis le commencement du monde.

J'ai été pris soudain d'une joie folle et me suis mis à rire, d'un rire illuminé par l'évidence. Cette fenêtre, il me semblait n'avoir jamais connu qu'elle : j'avais passé ma vie à regarder à l'intérieur de chaque mot ; et ce que j'y voyais — ce que je distinguais à travers les livres de Bruno Schulz, mais aussi de Danilo Kis, de Roberto Bazlen, d'Andreï Biély, c'était ce bleuté aventureux de la lumière qui donne sur l'Arche.

Le serveur me tendit mon deuxième Georges Simenon, sur lequel je me jetai en observant les deux piliers dont la couleur verte étincelait dans les ors du club : ils ressemblaient maintenant aux deux colonnes du Temple de Jérusalem.

J'ai avalé d'un coup sec ma vodka-pamplemousse. Je continuais à sourire. Le trou de lumière entre les deux piliers m'éblouissait ; et à la place du jeune homme dont la silhouette s'était effacée aussi vite qu'elle était apparue, il y avait ce livre à l'apparence si fragile que je n'osais avancer la main vers lui.

C'était un étrange volume : il faisait penser au corps d'un oiseau. Je l'ai soulevé avec délicatesse, il ne pesait rien. J'ai pensé : un livre en plumes, un livre plein d'air — un livre ailé.

C'était Tree of Codes : le livre de Bruno Schulz découpé par Jonathan Safran Foer.

En ouvrant le volume, j'ai vu les trous. J'ai vu les fenêtres. On n'avait gardé que quelques mots à chaque page, et ils semblaient flotter comme des mobiles sur un fond de page blanche.

Ça me faisait penser au Coup de dés de Mallarmé, ce poème qui lance ses mots dans le ciel pour y fonder une constellation. Mais ici, chaque mot donnait sur un autre mot, et un récit se formait instantanément au hasard des pages, un récit qui profitait du vertige ouvert par les trous ; et alors que j'avais commencé à déchiffrer consciencieusement la trame offerte par ce livre-dentelle, essayant, avec les seuls mots du texte que Safran Foer avait gardés, de reconstituer un récit primitif, d'un coup, au lieu de lire des phrases, je me suis mis à lire le vide. À voir entre les phrases, à évoluer entre les pages, à passer à travers les fenêtres.

Et là, est-ce l'excès de Georges Simenon, est-ce la fatigue de la fin de semaine, est-ce la lumière ensorcelante qui venait du Temple de Jérusalem, spécialement diffusée pour moi entre les deux piliers verts du club, je me suis mis à voir, comme l'étrange jeune homme me l'avait annoncé.

En tournant les pages de Tree of Codes, j'ai vu un désert, un couteau, une gorge ouverte à l'éclair du couteau, et la main de celui qui retient le couteau. J'ai vu du sable et des pierres, des sources apparaître avec ce bleuté de l'Arche, et des montagnes couvertes d'oliviers, et les premières herbes mouillées par l'océan, des biches, des girafes, des panthères endormies. J'ai vu, en m'approchant, le pelage brûlant des panthères, les paupières des girafes, puis le fin duvet qui recouvre les cuisses d'Ève. J'ai vu des chevaux s'ébrouer dans des prairies, et des ruisseaux s'ouvrir entre les forêts. J'ai vu du sang séché sur le mur des grottes. Puis du feu sur les visages, du sang, des algues, des rires. Tout s'est mis à danser, les pelages, le couteau, les cuisses, les rivières, et la lumière m'a transporté pour toujours.


Yannick Haenel

© Nick Mead

La danse, une pensée en mouvement

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Portrait de Wayne McGregor

11 min

La danse, une pensée en mouvement

Par Sarah Crompton

Avec la création à l’Opéra de Paris de Tree of Codes en 2017 sur la scène du Palais Garnier, le ballet d’Olafur Eliasson, Jamie xx et Wayne McGregor revient à l’Opéra Bastille du 26 juin au 13 juillet. À nouveau, un champ de perceptions inexplorées s’ouvre aux spectateurs. Intarissable chercheur et ardent défenseur d’une danse toujours en mouvement, Wayne McGregor continue de parcourir d’innovants langages chorégraphiques, au croisement des arts plastiques, d’une technologie scientifique et d’une création toujours plus inventive. Portrait.


Tous les chorégraphes possèdent leur propre style. Mais difficile de ne pas reconnaître un ballet du chorégraphe britannique Wayne McGregor : longues et élégantes distorsions, extrême articulation du corps, mouvements totalement inattendus. Dans ses pièces, quel que soit le thème, les danseurs nous apparaissent toujours divinement beaux et étonnamment étranges. S’ils sont manifestement humains, leur corps vient d’un autre monde.

Les centres d’intérêt de Wayne McGregor sont aussi vastes que son vocabulaire chorégraphique, évoluant d’œuvres totalement abstraites à des pièces qui abordent des notions scientifiques complexes, en passant par un ballet sur la nature de la guerre moderne ou un autre basé sur les écrits de Virginia Woolf. Il suffit de contempler les œuvres qu’il a chorégraphiées pour le Ballet de l’Opéra de Paris pour apprécier cette diversité : L’Anatomie de la sensation, sa première création pour la compagnie, en 2011, s’inspirait des toiles de Francis Bacon ; Genus naissait de l’ouvrage scientifique L’Origine des espèces de Charles Darwin ; quant à Alea Sands, la pièce rendait hommage à la musique de Pierre Boulez et à ses principes aléatoires.
« Tree of Codes », Palais Garnier, 2017
« Tree of Codes », Palais Garnier, 2017 © Little Shao / OnP

Tree of Codes, qui réunit les danseurs de l’Opéra de Paris et ceux de la Company Wayne McGregor, s’inspire d’un roman de Jonathan Safran Foer. Cet auteur américain a littéralement ciselé son livre préféré (The Street of Crocodiles, de Bruno Schulz) pour en créer un totalement nouveau, en découpant les pages pour mettre en exergue les mots et les locutions pris individuellement, et ainsi donner vie à de nouvelles significations.

De toutes les créations de McGregor – y compris la fable Raven Girl, premier ballet narratif du chorégraphe –, aucune ne s’apparente aux contes de fées, aux légendes et aux mythes, ni même au pur intérêt de la forme physique, autant de thèmes qui inspirent de nombreux chorégraphes. Selon McGregor, le concept constitue le point de départ de toute création. « Je suis toujours stupéfait par les gens qui disent vouloir composer une chorégraphie sans idée en tête, explique-t-il un jour. Je trouve cela bizarre. Pour moi, créer une chorégraphie, c’est s’attacher à trouver une idée intéressante qui va nous captiver et changer notre façon de penser le monde. C’est la raison même de ce métier. »

Cette remarque donne un indice sur le moteur de sa carrière. En quête constante d’exploration, McGregor propose une adaptation rigoureuse du langage chorégraphique, tout en collaborant avec des artistes issus d’autres univers, qui nourrissent son imagination débordante et donnent vie à sa vision si particulière.

« La collaboration permet de se réinventer, de ne pas tomber dans la banalité, précise-t-il un jour. Je veux ressentir de l’enthousiasme dès mon réveil. La danse repose énormément sur la collaboration. Quand on est entouré de personnes inspirées et inspirantes, notre travail et notre pratique s’en trouvent automatiquement influencés. » Wayne McGregor

La première étape, le premier coup de pinceau sur la toile, vient toutefois de lui. Comme le souligne Kevin O’Hare, directeur du Royal Ballet de Londres, où McGregor occupe le poste de chorégraphe résident depuis 2006 : « Quand Wayne transpose un ballet sur scène, on finit par voir ce qu’il a imaginé dès le départ. Il réfléchit toujours intensément au moyen de réussir une pièce. » Cet aspect, McGregor l’explique lui-même en d’autres termes : « La chorégraphie n’est pas composée de façon isolée. Je connais l’univers qui sera dépeint, la musique qui sera jouée. J’utilise ces éléments comme un script, ou comme une boîte à outils avec laquelle je m’amuse. Je conçois donc la chorégraphie en tenant compte de ces idées, tout en étant à l’affût des occasions qui se présentent quand des événements inattendus se produisent. »  

« Tree of Codes », Palais Garnier, 2017
« Tree of Codes », Palais Garnier, 2017 © Little Shao / OnP

McGregor a toujours été à part. Né en 1970, il grandit à Stockport, ville industrielle du Nord de l’Angleterre, pas forcément réputée pour sa culture de la danse, dans « un foyer tout ce qu’il y a de plus normal et stable ». Ses premières sources d’inspiration se trouvent du côté du disco et de la gestuelle de John Travolta – « son incroyable prestance, la crudité de son corps, son aisance, sa facilité ». Il excelle alors en danses de salon et danses latino-américaines. Dans l’émission de radio Desert Island Discs de la BBC, il raconte que sa première professeure a eu une influence formatrice sur lui, quand elle l’a laissé créer des variations de rumba ou autre danse traditionnelle, avant de noter la version qu’il proposait. « De ces variations pouvait naître une chorégraphie. »

Il étudie également la musique classique – il est d’ailleurs l’un des rares chorégraphes à savoir vraiment lire une partition. Sa carrière débute par un diplôme en danse, de l’Université de Leeds, en Angleterre, et par des cours de danse collectifs. Cette association entre la théorie – le diplôme – et la pratique – impliquer les danseurs – aiguise à la fois son originalité et son vif intérêt pour le pouvoir communicatif de la danse. Il entraîne le public vers de nouveaux horizons, tout autant qu’il s’y aventure lui-même.

En 1992, il fonde sa propre compagnie, Random Dance, qui s’agrandit ensuite pour devenir Studio Wayne McGregor. Il commence à créer des chorégraphies qui reflètent tout le mordant de ses qualités de danseur. Crâne rasé, grand et extrêmement souple, il est d’après un critique « capable d’exécuter des changements et des tours éblouissants ». En 2001, sa compagnie est hébergée par le théâtre londonien Sadler’s Wells. Dans Nemesis, première pièce qu’il compose pour cette salle, de longues trompes en acier (fabriquées par la société Henson’s Creature Shop) sont fixées aux bras des danseurs, les transformant en des créatures souterraines évoluant dans un univers dystopique.

John Ashford, ancien directeur du théâtre londonien The Place, affirme un jour : « Wayne est l’homme le plus curieux que je connaisse ». Son travail témoigne de cette curiosité. Dans AtaXia, créé au Sadler’s Wells en 2002, il dévoile les résultats de six mois de recherche sur le fonctionnement du cerveau, transportant ses danseurs dans des mouvements apparemment incontrôlés et agités, comme des spasmes. En 2005, avec Amu, c’est le cœur qui est examiné. Sur une partition de John Tavener, qu’il compose en s’inspirant d’une maladie cardiaque dont il est lui-même atteint, McGregor observe une opération à cœur ouvert (durant laquelle il s’évanouit) et étudie la poésie de la mystique soufie pour produire une pièce qui questionne à la fois les émotions et les fonctions du cœur humain.

Cet intérêt pour la science trouve d’autres échos. En 2004, il est nommé chercheur attaché au Département de psychologie expérimentale de l’Université de Cambridge. La plupart des pièces qu’il crée ensuite examinent ouvertement des expériences cognitives ou utilisent les progrès scientifiques afin de manifester son intérêt continu pour la relation entre le mouvement du corps et la science du cerveau.
« Tree of Codes », Palais Garnier, 2017
« Tree of Codes », Palais Garnier, 2017 © Little Shao / OnP

Le travail qu’entreprend McGregor auprès de sa propre compagnie est souvent le plus audacieux, mais ses collaborations avec d’autres compagnies de danse enrichissent considérablement sa carrière et sa pensée. Son étroite association avec le monde du ballet débute en 2006, quand il chorégraphie Chroma pour le Royal Ballet. La pièce fait sensation. Derrière les gros titres des journaux – « Acid House à la Royal Opera House » et « punk à Covent Garden » –, un réel frisson se dégage de la collision qui se produit entre la mentalité novatrice de McGregor et la formation traditionnelle des danseurs de ballet.

Quand il accepte le poste de chorégraphe résident, marchant sur les illustres pas de Frederick Ashton et de Kenneth MacMillan, cette nomination déconcerte certains traditionalistes, et les critiques à l’égard de son travail pour le Royal Ballet ne cessent jamais vraiment. Pourtant, Kevin O’Hare est formel : McGregor a été une bénédiction pour la compagnie.

« Certains ont été choqués qu’un tel poste soit confié à un étranger, à une personne extérieure, qui n’avait pas gravi les échelons de la compagnie, raconte O’Hare. Mais j’étais très enthousiaste à cette idée, au même titre que le reste de la compagnie, et j’ai senti que cette décision conduisait le Royal Ballet sur la bonne voie. C’était important de bénéficier d’un chorégraphe contemporain tel que lui, travaillant aux côtés des danseurs, les incitant à se dépasser. Même les danseurs étaient prêts à relever le défi. Des cris de joie ont retenti dans l’opéra quand on a annoncé sa nomination : les danseurs étaient surpris, mais ravis. »

Depuis, McGregor a élargi son travail de chorégraphe indépendant, créant des chorégraphies pour des compagnies de danse internationales, dont le Ballet de l’Opéra de Paris, La Scala de Milan, le Nederlands Dans Theater, le San Francisco Ballet, le Ballet de Stuttgart, le New York City Ballet et l’Australian Ballet. Il s’est également illustré comme chorégraphe pour le film Harry Potter et la Coupe de feu et, plus récemment, pour Les Animaux fantastiques et Tarzan. À ce propos, il s’est un jour présenté aux répétitions de l’Opera House après avoir passé toute la matinée à observer des gorilles au zoo de Londres.
« Tree of Codes », Palais Garnier, 2017
« Tree of Codes », Palais Garnier, 2017 © Little Shao / OnP

Il travaille incroyablement dur, avec dévotion et enthousiasme. Lors des répétitions avec les danseurs, il incarne une source d’inspiration, débordant d’énergie, se déplaçant à travers la salle en émettant toutes sortes de sons et en utilisant toutes sortes d’images pour expliquer ce qu’il veut. « Il parvient à inviter les danseurs à participer à la création, affirme O’Hare. Son travail n’est pas improvisé, il est clairement dirigé. On l’entend pourtant dire : “voici la musique ; maintenant, voyons comment enchaîner ces deux pas”. Il se place légèrement en retrait et demande aux danseurs de l’aider. Pour certains, c’est évidemment difficile, mais d’autres apprécient de mettre à contribution leur tête et leur corps. Les danseurs s’impliquent totalement dans sa chorégraphie. »

Cette connaissance des possibilités qu’offre la danse, sa façon d’engager l’esprit et le corps dans une exploration continue de la forme et du fond, permet à McGregor d’avancer sans cesse. Sa carrière continue à se diversifier et à se développer. En 2015, Woolf Works, ballet en trois actes basé sur les écrits de Virginia Woolf, que McGregor crée sans pour autant renoncer à son instinct d’exploration, remporte un tel succès que le chorégraphe sent que les opéras sont – enfin – prêts à adopter de nouvelles idées. « Nous sommes parvenus au point critique », explique-t-il. Le fait de placer ses danseurs aux côtés de ceux du Ballet de l’Opéra de Paris témoigne encore de ce sentiment de rapprocher deux mondes. « Je trouve épatant que ma compagnie s’imprègne d’une nouvelle énergie. Mais cela montre également que des compagnies comme le Royal Ballet et le Ballet de l’Opéra de Paris commencent à travailler différemment. Je ne crois pas être le seul à changer. Une nette transformation s’est amorcée. »

Si McGregor a envie de sortir du cadre, comme en témoignent des œuvres telles que Tree of Codes, c’est parce qu’il pense que la danse devrait parler le langage d’aujourd’hui. « Nous vivons une époque complexe. Nos formes artistiques devraient traduire la nécessité de comprendre le monde et de trouver de nouvelles synergies. Ce n’est pas du goût de tout le monde, mais c’est ce que nous devrions faire. »    

© Little Shao / OnP

Dans les coulisses de « Tree of Codes »

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Rencontre avec les Étoiles Marie-Agnès Gillot et Jérémie Bélingard

6:52 min

Dans les coulisses de « Tree of Codes »

Par Octave

Invité depuis plusieurs années par l’Opéra de Paris, Wayne McGregor avait déjà travaillé avec quelques danseurs de la compagnie. Marie-Agnès Gillot et Jérémie Bélingard reviennent sur cette rencontre. La découverte d’un nouveau langage chorégraphique, compulsif et animal : un exercice de style peu courant dans le répertoire classique de ces danseurs. Rencontre.    

  • Tree of Codes by Wayne McGregor
  • Tree of Codes by Wayne McGregor (François Alu)
  • Tree of Codes by Wayne McGregor
  • Tree of Codes by Wayne McGregor (Valentine Colasante & Julien Meyzindi)
  • Tree of Codes by Wayne McGregor
  • Tree of Codes

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