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Elisa Haberer / OnP

Opéra

Nouveau

Lear

Aribert Reimann

Palais Garnier

du 23 mai au 12 juin 2016

3h00 avec 1 entracte

Synopsis

"Où suis-je ? Est-ce le jour ? Je ne sais ce que je dois dire. Est-ce que ces mains sont les miennes ? J’aimerais tant savoir ce que je suis."

- Lear, Partie II, scène 6


Du Roi Lear de Shakespeare, Berlioz ne fit qu’une ouverture, tandis que Debussy n’alla pas au-delà des deux premiers numéros de la partition qu’il entreprit d’écrire pour accompagner la mise en scène d’André Antoine. Quant à Verdi, que cette tragédie « si vaste, si tortueuse » hanta dès 1843, il ne cessa d’atermoyer, confessant au soir de sa vie que la scène dans laquelle Lear se retrouve dans la lande l’avait terrifié. Souhaitant se mesurer au rôle parce qu’il avait depuis longtemps « l’impression que les divers niveaux du drame intérieur et extérieur pouvaient très bien s’allier à la musique et se laisser exprimer par elle », le grand baryton allemand Dietrich Fischer-Dieskau sollicita Benjamin Britten, avant de se tourner vers le compositeur allemand Aribert Reimann.

D’abord hésitant, celui-ci finit par décliner la proposition. Au fil de lectures répétées, la pièce prit cependant racine en lui, la musique s’emmagasinant dans « une sorte de tiroir ouvert quelque part dans [sa] tête », jusqu’à ce que la commande de la Staatsoper de Munich déclenche, en 1975, la phase effective de la composition. « On a rarement dépeint de façon aussi convaincante – peut-être dans le Wozzeck d’Alban Berg – la solitude de l’homme comme conséquence de son incapacité à voir ceux qui l’entourent », écrira le créateur du rôle de Lear et instigateur de cette oeuvre majeure du XXe siècle. Jamais reprise à l’Opéra de Paris depuis sa première française en 1982, elle est présentée dans une nouvelle mise en scène de Calixto Bieito avec Bo Skovhus dans le rôle bouleversant de Lear.

Durée : 3h00 avec 1 entracte

Artistes

Opéra en deux parties (1978)

D'après William Shakespeare, King Lear
En langue allemande

Équipe artistique

Distribution

Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris

Surtitrage en français et en anglais

Galerie médias

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Podcast Lear

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"Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris" - en partenariat avec France Musique

07 min

Podcast Lear

Par Stéphane Grant, France Musique

  • En partenariat avec France Musique

Avec « Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris », nous vous proposons des incursions originales dans la programmation de la saison à la faveur d’émissions produites par France Musique et l’Opéra national de Paris. Pour chacune des productions d’opéra et de ballet, Judith Chaine pour le lyrique et Stéphane Grant pour la danse, vous introduisent, avant votre passage dans nos théâtres, aux œuvres et aux artistes que vous allez découvrir.    

Le roi se meurt

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En répétition avec Bo Skovhus

3:43 min

Le roi se meurt

Par Laurent Sarazin

Bo Skovhus tient le rôle-titre de Lear d’Aribert Reimann, présenté pour la première fois dans sa version originale à partir du 23 mai au Palais Garnier. Dirigé par le metteur en scène Calixto Bieito, le colosse danois livre une performance mêlant puissance et vulnérabilité. En interprétant le drame à fleur de peau, le baryton fait du lointain roi sans couronne un reflet poignant de notre condition humaine. Dans cet entretien mené au cœur des répétitions, Bo Skovhus évoque le personnage de Lear et le travail avec Calixto Bieito.    

Ce qu’il y a de plus profond en nous

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Entretien avec Calixto Bieito

08 min

Ce qu’il y a de plus profond en nous

Par Simon Hatab, Milena Mc Closkey

Un parfum de scandale entoure le metteur en scène Calixto Bieito. On le décrit volontiers provocateur, iconoclaste, aimant à entretenir avec le public un rapport conflictuel. Raison de plus pour briser les clichés : c’est un homme d’une grande douceur avec lequel nous nous entretenons : un homme qui, après avoir mis en scène, il y a douze ans, King Lear de Shakespeare, s’attaque maintenant au Lear de Reimann – fort de l’expérience que le temps lui a apportée – en considérant l’œuvre sous l’angle de la fragilité et de l’intime.

Avant de vous attaquer au Lear de Reimann, vous aviez déjà mis en scène King Lear de Shakespeare dont l’opéra est adapté. Avez-vous réactivé vos souvenirs du drame ou avez-vous abordé l’opéra comme s’il s’agissait d’une œuvre nouvelle ?

Calixto Bieito : J’avais effectivement mis en scène King Lear de Shakespeare en 2004. Quand j’ai commencé à m’intéresser au Lear de Reimann, c’était évidemment un avantage d’avoir déjà travaillé le drame de Shakespeare et d’en avoir une certaine connaissance – si tant est qu’il soit possible de maîtriser une telle œuvre –, du moins de la connaître un peu. Ce que je propose aujourd’hui ne ressemble pas au spectacle que j’ai pu faire à l’époque. Il est différent. Je suis différent. En l’espace de douze ans, j’ai changé. Je suis plus mûr, j’ai vu plus de choses qui m’ont marqué. D’autre part, bien que le livret de Lear soit une adaptation de la pièce shakespearienne, il est comme « filtré » par une traduction très particulière. Une traduction allemande ancienne, qui date du XVIIIe siècle, dans une langue très « rhétorique ». Enfin, la musique qu’Aribert Reimann a composée dans les années 1970 imprime son propre mouvement à l’œuvre et la fait résonner dans une autre époque. C’est une musique qui contient à la fois l’horreur, l’aveuglement et la brutalité du XXe siècle. En définitive, même si l’histoire est similaire, la matière de Lear est complètement différente de celle de la pièce de Shakespeare. On ne peut en faire abstraction…

Harry Kupfer affirme que pour mettre en scène Lear, il faut « oublier Shakespeare ». Iriez-vous jusque-là ?

C. B. : Je ne dirais pas « oublier » mais plutôt le garder à juste distance. Shakespeare peut accepter mille couleurs : aussi bien la musique de Reimann que celle de Rufus Wainwright (qui a collaboré avec Robert Wilson lors d’une mise en scène des sonnets de Shakespeare avec le Berliner Ensemble). Shakespeare admet tout. 

Est-ce cela qui vous attire dans le travail d’adaptation de grands classiques ?

C. B. : C’est ce qui m’attire dans Shakespeare, pas forcément dans tous les classiques. Une pièce comme King Lear, par exemple, a cette force parce que c’est une histoire qui nous vient des profondeurs de l’humanité. Notre scénographie laisse d’ailleurs transparaître cet archaïsme…

Extrait d'une vidéo réalisée par Sarah Derendinger pour la production de Lear
Extrait d'une vidéo réalisée par Sarah Derendinger pour la production de Lear

Parlons justement de cette scénographie : l’une de ses idées fortes est le lent effondrement du décor…

C. B. : La solide structure en bois se salit, se détruit, brûle. Elle est brûlée par le pétrole. Le décor s’effondre comme les corps mêmes des chanteurs. Le chant et la musique semblent s’évaporer : plus la fin approche, plus la musique disparaît pour se rapprocher d’un langage abstrait. Elle disparaît peu à peu dans le néant.

Cette scénographie induit une vision très sombre…

C. B. : Oui, Lear est une œuvre pessimiste. Je n’y perçois pas beaucoup d’espoir.

En suivant la gestation de votre mise en scène, on avait l’impression que deux aspects du drame vous inspiraient : l’un plutôt politique, l’autre plutôt familial et intime. Au fil du temps, comment ces deux pôles se sont-ils articulés ? L’un a-t-il pris le pas sur l’autre ?

C. B. : Je me suis toujours centré sur la famille. L’aspect politique apparaît de lui-même, sans qu’il y ait besoin de le souligner. Je ne me définis pas comme homme politique mais comme metteur en scène. La politique vient d’elle-même parce qu’elle est en tout lieu. Tout est politique. En revanche, ce que je connais profondément c’est la famille, les relations familiales, la vieillesse, la maladie, la dégradation du corps, la mort, la perte… Mais aussi la tromperie, la déloyauté, la trahison, la violence, l’agression, la névrose, la sexualité refoulée… Je connais tout cela et tout cela est politique. À partir d’un noyau familial, sont générés l’univers, la politique et l’apocalypse… 

Comment avez-vous pris en charge cette violence intrinsèque de l’œuvre ?

C. B. : L’opéra de Reimann comme le drame de Shakespeare sont très violents. J’ai tâché de traiter cette violence de façon essentielle, avec simplicité. Ici elle est sèche, sobre, très austère. Profondément économe. J’ai essayé de l’être. La violence est d’abord intériorisée, elle jaillit de l’intérieur, toujours.  

Extrait d'une vidéo réalisée par Sarah Derendinger pour la production de Lear
Extrait d'une vidéo réalisée par Sarah Derendinger pour la production de Lear

Vous recourez également à des projections vidéo, des images brutes qui se plantent en nous comme un scalpel. Quelle fonction assignez-vous à ces images ? En tant que metteur en scène, avez-vous besoin de réveiller le spectateur, de le maintenir en éveil ?

C. B. : En ce moment, je ne pense pas tant au public. J’y penserai le soir de la première, dix minutes avant les applaudissements. Pour l’heure, j’essaie de comprendre l’œuvre, comprendre la musique et, par-dessus tout, je cherche à y circuler, à traverser l’œuvre avec les chanteurs. C’est de cette manière que nos fantasmes et nos rêves apparaissent. Les imaginaires de chacun se confondent et créent un petit cosmos. Les images vidéo constituent le terrain d’expérimentation de ces imaginaires.

La vidéo est selon vous le médium le plus à même d’exprimer l’inconscient ?

C. B. : Oui. Je voulais en tout cas essayer. C’est comme un poème. Des images se réunissent, s’entrechoquent. Il m’arrive parfois d’écrire de la poésie. J’aime ça.    
Extrait d'une vidéo réalisée par Sarah Derendinger pour la production de Lear
Extrait d'une vidéo réalisée par Sarah Derendinger pour la production de Lear

Vous avez une façon très crue de représenter les corps, avec des scènes de nudité partielle. Les corps vous obsèdent-ils ?

C. B. : J’ai, depuis toujours, nourri une obsession pour les corps. Depuis l’enfance, j’aime les peintures de Goya et de Rubens, les corps dénudés de Rubens m’ont toujours impressionné. La peau est une matière merveilleuse, mais également une matière qui se dégrade, qui disparaît. J’ai vu assez de corps malades et morts, malheureusement. J’ai dormi avec mon père jusqu’à ce qu’il meure. Dans le lit, avec lui. J’ai vu comment le corps s’en va, comment l’air s’échappe en disparaissant, peu à peu, par la bouche. Ce sont des images qui restent profondément ancrées en moi.    

La focalisation que vous faite sur la peau et le vieillissement, dans votre mise en scène, est particulièrement poignante. Tout à coup, la tragédie complexe de ce roi mythologique devient un drame universel de la condition humaine dans lequel il est impossible de ne pas se projeter. On pense à la phrase de Valéry : « Ce qu'il y a de plus profond en l'homme, c'est la peau. »

C. B. : C’est une réflexion dont je me sens très proche. La peau est quelque chose que nous avons tous en commun, et qui rend universel le drame de ce roi étranger. La peau est aussi quelque chose que nous avons de très transparent et fragile. On peut connaître une personne grâce sa peau, on peut la lire, c’est comme un paysage. Une peau avec ses grains de beauté est comme un ciel étoilé.    

Comment obtenez-vous un tel engagement physique de la part des chanteurs ?

C. B. : Je tâche de leur donner des indications physiques très simples : comment placer son corps, quelle énergie donner à un mouvement… Parce que tout est physique, tout est mouvement. Tout est fantasme, imagination, mais le corps… Comment dire ? On n’en a qu’un. C’est ce que nous sommes.

Tout est physique, tout est imagination… Voilà un paradoxe fort. Vous semblez préoccupé par cette tension entre l’incarnation physique des chanteurs et leur monde intérieur. Est-ce le moteur de votre travail ?

C. B. : Exactement. Je n’ai rien d’autre à ajouter. Je ne sais pas bien expliquer les choses. J’écris parfois ou je prends des photos. Ce que je sais faire le mieux, c’est observer les gens. Je les regarde : comment ils se meuvent, comment ils parlent… Mais souvent ce sont des choses qui ne s’expliquent pas. Nous n’avons pas les mots. Et parfois les mots trompent beaucoup, non ?

Propos recueillis par Simon Hatab et Milena Mc Closkey
Traduction de l’espagnol par Milena Mc Closkey


© Universal Pictures

Shakespeare à l'Opéra

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Une histoire d'adaptation

12 min

Shakespeare à l'Opéra

Par Walter Zidarič

L’année 2016 marque les 400 ans de la disparition du génial dramaturge anglais. D’après Julie Sanders, professeur à l’Université de Newcastle et spécialiste de Shakespeare, depuis le XVIIe siècle plus de trois cents opéras lui seraient liés de près ou de loin. Certainement en raison de la modernité de sa poétique, de sa capacité à provoquer le débat en mettant en scène des sujets universels tels que la nature de l’amour ou du pouvoir, qui continuent aujourd’hui de résonner et d’inspirer les artistes, pas moins de quatre œuvres inspirées par William Shakespeare – les opéras Lear, Béatrice et Bénédict et les ballets Roméo et Juliette et Le Songe d’une nuit d’été ­– jalonnent les saisons 2015/16 et 2016/17 de l’Opéra national de Paris. 

Utiliser les pièces de Shakespeare comme modèles de livrets d’opéra est une entreprise dangereuse. Claus H. Henneberg

Quatre siècles de créations

« Mettre le poète en musique avec succès n’a pratiquement jamais réussi, si l’on compte le nombre d’opéras ayant été écrits d’après lui et si l’on calcule le pourcentage de ceux restés au répertoire, même si l’on tient compte de ceux restés injustement dans l’oubli ». Ainsi s’exprimait, il y a plus de trente ans, le librettiste du Lear de Reimann, à l’affiche de l’Opéra national de Paris en mai 2016. Outre ses œuvres poétiques, 10 a écrit une quarantaine de pièces de théâtre en deux décennies environ. Voulant établir une liste essentielle (et donc nécessairement courte et incomplète) des œuvres musicales inspirées des pièces shakespeariennes à partir du milieu du XIXe siècle, on retrouve une quinzaine de titres. Du côté de l’opéra, en délaissant la musique symphonique et la musique de scène, le Macbeth de Verdi (1847, puis 2e version pour Paris en 1865) ouvre la voie qui va vite être empruntée par d’autres compositeurs comme l’Allemand Otto Nicolai, qui s’inspire des Joyeuses commères de Windsor en 1849, ou Ambroise Thomas, dont l’opéra-comique Le Songe d'une nuit d'été (1850) est une adaptation très libre de l’original anglais, ou encore Halévy, dont La Tempête, sur un livret italien, est donné à Londres en 1850. Berlioz est ensuite son propre librettiste pour Béatrice et Bénédict (1862), opéra-comique à partir de Beaucoup de bruit pour rien, tandis que Boito et Franco Faccio créent leur Hamlet en Italie en 1865 et qu’Ambroise Thomas s’y intéresse peu de temps après (1868). Gounod s’empare à la même époque de Roméo et Juliette (1867), sujet qui va inspirer un nombre très important d’opéras et d’œuvres musicales tout au long du XIXe et du XXe siècle, jusqu’à West Side Story (1957) de Leonard Bernstein, au Roméo et Juliette (1988) de Pascal Dusapin et au-delà (par exemple la comédie musicale homonyme de Richard Cocciante en 2007).

Macbeth de Giuseppe Verdi dans la mise en scène de Dmitri Tcherniakov
Macbeth de Giuseppe Verdi dans la mise en scène de Dmitri Tcherniakov © Christian Leiber / OnP
Le XIXe siècle poursuit son exploration opératique de l’univers shakespearien avec Der Widerspenstigen Zähmung (1873) d’Hermann Goetz, d’après La Mégère apprivoisée, et deux opéras de Verdi et Boito, Otello (1887) et Falstaff (1893), toujours au répertoire. Au tout début du XXe siècle, Charles Villiers Stanford crée en Angleterre Much Ado About Nothing (1901), alors que Gustav Theodore Holst s’inspire, pour son At the Boar's Head (1924), de la scène de la taverne d’Henry IV. Ensuite c’est au tour du Marchand de Venise d’être abordé à la fois par Reynaldo Hahn à l’Opéra de Paris en 1935, et Mario Castelnuovo-Tedesco à Florence en 1961, tandis qu’en pleine période fasciste Gian Francesco Malipiero s’attaque, non sans hasard, au Jules César shakespearien (1936). Vingt ans plus tard, La Tempête inspire un opéra allemand de Frank Martin, Der Sturm (1955), suivie un demi-siècle après de la vision de Thomas Adès (2004). En 2011, à New York, voit le jour The Enchanted Island, un pasticcio à partir de La Tempête et du Songe d’une nuit d’été, sur un livret de Jeremy Sams. Le même Songe d'une nuit d'été inspire notamment Benjamin Britten en 1960, alors qu’aux Etats-Unis Samuel Barber compose Antony and Cleopatra (1966) sur un livret de Franco Zeffirelli, révisé en 1975 avec Gian Carlo Menotti. Avant d’en venir au Lear de Reimann, regardons du côté de la danse.

La danse, plus forte que la mort

Si la comédie musicale Kiss me, Kate (1948) de Cole Porter, librement adaptée de La Mégère apprivoisée, remet l’œuvre au goût du jour dans l’après-guerre, le chorégraphe John Cranko se penche sur la pièce shakespearienne en 1968, pour le Ballet de Stuttgart, sur une musique de Kurt-Heinz Stolze. Et en 2014, Jean-Christophe Maillot crée pour le Bolchoï une nouvelle « Mégère », sur des musiques de film de Chostakovitch. Cependant, pour la danse, deux œuvres en particulier vont occuper le haut du pavé : Le Songe d'une nuit d'été et Roméo et Juliette.

Roméo et Juliette de Sergueï Prokofiev dans la chorégraphie de Rudolf Noureev
Roméo et Juliette de Sergueï Prokofiev dans la chorégraphie de Rudolf Noureev © Julien Benhamou / OnP
La première, sous des airs ludiques avec sa part de rêverie, et où le jeu de la mise en abyme est très présent, met en scène deux couples de jeunes amoureux transis qui se désunissent pour mieux se retrouver à la fin. C’est en 1876, à Saint-Pétersbourg, que Marius Petipa crée sa chorégraphie sur la musique de scène de Mendelssohn, complétée en 1843 avec notamment la célèbre Marche nuptiale. Ce ballet est ensuite remonté en 1906 par Michel Fokine pour les élèves du Théâtre impérial de Saint-Pétersbourg, et il faut attendre 1962 pour que George Balanchine crée sa propre version pour le New York City Ballet, qui entrera au répertoire de l’Opéra national de Paris la saison prochaine. Depuis, d’autres chorégraphes ont proposé leur version : Frederick Ashton, Heinz Spoerli, John Neumeier, Bruce Wells, David Nixon, Christopher Wheeldon ou encore François Klaus. Balanchine qui attend patiemment avant de concrétiser son rêve shakespearien, opère avec cette œuvre de la maturité un collage musical entre différentes pièces de Mendelssohn : outre sa musique de scène de 1843, il y ajoute notamment la Symphonie pour cordes n° 9, les ouvertures d'Athalie, de La Belle Mélusine, du Retour de l'étranger et de la Première nuit de Walpurgis. Défini comme une œuvre de rupture, ce ballet est l’une des rares chorégraphies narratives de Balanchine, pour lequel il enrichit le vocabulaire de la danse grâce à une fusion délicate avec la pantomime. C’est grâce à Roméo et Juliette de Prokofiev que l’histoire des deux amants malheureux de Vérone accède au monde de la danse au XXe siècle. La musique composée par Prokofiev en 1935, peu après son retour en URSS, a inspiré majoritairement les chorégraphes - de Lavrovski à Cranko, de MacMillan à Noureev (1984), Preljocaj, Bertrand d’At, Joëlle Bouvier ou Christian Spuck. Quant au poème symphonique de Berlioz, il a donné lieu aux créations de trois chorégraphes : Maurice Béjart, Sasha Waltz pour l’Opéra national de Paris en 2007, et Thierry Malandain. Ballet à la genèse difficile, initialement commandé par le Kirov de Leningrad puis, en raison de la censure, prévu pour le Bolchoï de Moscou et, enfin, créé en 1938 à Brno en Tchécoslovaquie où il reçut un accueil très favorable, l’œuvre ne sera finalement montée au Kirov qu’en 1940 et au Bolchoï en 1946. Rudolf Noureev qui avait d’abord créé la version de Kenneth MacMillan en 1965 avec Margot Fonteyn, fait entrer, vingt ans plus tard, en 1984, sa chorégraphie au répertoire de l’Opéra national de Paris, convaincu que « la Vérone de la Renaissance et le Londres élisabéthain avaient en commun le sexe et la violence. Ce qui les rapproche singulièrement de notre époque ». Noureev suit pas à pas la partition de Prokofiev et donne plus de corps au personnage de Roméo, en insistant sur sa sortie de l’adolescence mais aussi sur celle de Juliette, le tout sous le signe de la mort qui rôde constamment autour des jeunes amants.

Reimann : 1 – Verdi : 0

Le Roi Lear, reconnu depuis le XIXe siècle comme l’un des sommets de l’art dramatique de Shakespeare, est une tragédie en cinq actes à la datation complexe, supposée avoir été rédigée entre 1603 et 1606 par son auteur et créée le 26 décembre 1606 au Palais de Whitehall en présence du roi Jacques Ier d'Angleterre. La pièce fut remaniée en profondeur après la Restauration anglaise, puis retirée de la scène et ne fut représentée à nouveau à Londres sous sa forme originelle qu’à partir de 1838. Malgré la fascination de Verdi, tout au long de sa carrière, pour l’univers dramatique de Shakespeare, son projet de mettre en musique Le Roi Lear, qui l’occupera quelques années durant, avec la collaboration de Salvatore Cammarano tout d’abord, et d’Antonio Somma par la suite, n’aboutira pas. Un autre Italien, Antonio Cagnoni, se penchera à la fin du siècle sur le sujet du roi Lear, en 1895, mais son dernier opéra ne verra le jour, en fait, que plus d’un siècle plus tard, en 2009 ! Dans la première moitié du XXe siècle, seul l’opéra italien Re Lear de Vito Frazzi sur un livret de Giovanni Papini (1939) vit le jour. Le Roi Lear d’Aribert Reimann, sur un livret de Claus Henneberg, s’inscrit donc dans la deuxième moitié du XXe siècle comme une œuvre majeure du répertoire contemporain.

Sollicité à la fin des années 60 par le baryton Fischer-Dieskau qui rêvait d’incarner le personnage immortalisé par Shakespeare, Reimann accepta de relever le défi pour son troisième opéra. La genèse de l’œuvre fut assez longue car le librettiste débuta son travail en 1972, et le compositeur attendit la commande officielle de l’Opéra de Munich en 1975. Lear fut créé au Théâtre national de Munich le 9 juillet 1978 avec notamment Dietrich Fischer-Dieskau et Julia Varady, sous la direction de Gerd Albrecht et dans la mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle, et remporta un triomphe. La première française eut lieu à l’Opéra national de Paris quatre ans après, dans la traduction d’Antoinette Becker.


Lear d'Aribert Reimann dans la mise en scène de Jacques Lassalle
Lear d'Aribert Reimann dans la mise en scène de Jacques Lassalle © OnP DR

Dans son livret, Henneberg parvient à conserver les éléments essentiels de l’histoire du roi mythique et à déjouer les obstacles qui avaient effrayé Verdi bien plus d’un siècle auparavant, lequel s’exprimait ainsi à ce sujet : « À première vue, Lear est si vaste, si tortueux, qu'il semble impossible d'en tirer un opéra. Toutefois, après l'avoir examiné attentivement, il me semble que les difficultés, bien qu'indubitablement nombreuses, ne sont pas insurmontables. Tu sais que nous n'avons pas besoin de faire de Lear un drame dans le genre de ceux que l'on a pris l'habitude de faire maintenant. Nous devons le traiter d'une manière tout à fait nouvelle, sans aucune considération pour les conventions » (Lettre de Giuseppe Verdi à Salvatore Cammarano, 28 février 1850). Aussi épris de théâtre moderne que de théâtre antique, admirateur de Strindberg et d’Euripide, de Kafka et de García Lorca, Reimann, dans sa partition très complexe, crée un langage musical inventif où l’orchestre traditionnel renoue avec l’expressionnisme des années 20 et le dodécaphonisme, et où les percussions marquent des moments-clés de l’histoire représentée.

Pour conclure, quel pourrait être, finalement, le point de contact entre le jeu amoureux des couples dans Le Songe d’une nuit d’été dans une antiquité grecque de fantaisie, la tragédie amoureuse dictée par deux familles rivales dans le Moyen Âge de Roméo et Juliette, et celle due à l’incompréhension familiale, à la haine du père et à la soif de pouvoir dans Lear, plongée dans un passé celtique mythique précédant de plusieurs siècles la conquête romaine ? Ces trois œuvres montrent des univers où l’Amour, décliné sous trois formes différentes, oscille entre juvénilité et sénilité, joie et folie, vie et mort, ombre et lumière. Deux pôles qui inspirent ces créateurs russes et allemands, bien que Balanchine soit aussi devenu américain, entre la montée du nazisme en Europe et le premier choc pétrolier mondial, et qui dénotent peut-être un pessimisme croissant avec Lear en 1978, mettant en scène un monde (moderne ?) où plus aucun espoir n’est possible.


Slaviste et italianiste, Walter Zidarič est Professeur à l’Université de Nantes où il dirige le département d’études italiennes. Ses recherches portent sur les relations entre littérature, société et musique, notamment à partir du début du XIXe siècle. Il a publié trois monographies, plusieurs volumes d’actes de colloques internationaux et plus d’une soixantaine d’articles en France et à l’étranger. Il est l’auteur du livret d’opéra Lars Cleen : l’étranger, tiré d’une nouvelle de Pirandello, pour la musique de Paolo Rosato, créé en octobre 2015 au Théâtre Metropolia d’Helsinki.

© DT / OnP

Les grands débuts

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Regard sur la saison 15/16

06 min

Les grands débuts

Par Octave

À l’occasion de la pause estivale, nous vous proposons un regard rétrospectif sur la première saison de Stéphane Lissner à l’Opéra national de Paris. Chanteurs, metteurs en scène, scénographes… 2015-2016 a marqué les débuts à l’Opéra de Paris de nombreux artistes de premier plan. Retour sur une saison-manifeste.


Et la Folie s’empara du Palais Garnier…

Il faut croire que cette production de Platée mise en scène par Laurent Pelly est indémodable : saison après saison, on la retrouve avec le même plaisir. Plus encore, elle réussit toujours à nous surprendre et à nous arracher des éclats de rire. Il faut dire que cette fois, le spectacle pouvait se prévaloir de la présence de Julie Fuchs, soprano nouvelle génération qui faisait ses débuts à l’Opéra de Paris et nous a comblés par son interprétation de la Folie.

Et Romeo Castellucci se confronta à Moses und Aron…

L’événement inaugural de cette saison a incontestablement été Moses und Aron de Schönberg donné pour la première fois à l’Opéra Bastille. Metteur en scène, auteur de spectacles au théâtre et à l’opéra qui sont autant de chocs visuels, l’Italien Romeo Castellucci s’est confronté à cette fable biblique sur l’errance d’un peuple et les limites de la parole. Le terme de « confrontation » n’est pas de trop lorsque l’on sait la place qu’occupe l’image dans l’esthétique de Castellucci, place qu’interroge précisément Schönberg dans son opéra. De cette opposition dialectique entre un artiste majeur d’aujourd’hui et l’une des œuvres les plus fascinantes du XXe siècle est sorti un geste artistique mémorable, un manifeste esthétique : sur la vaste scène de l’Opéra Bastille, s’est étendu un désert – d’abord blanc puis maculé de noir – jusqu’à faire disparaître les artistes des Chœurs, cependant que les notes de Schönberg résonnaient implacablement. 

Romeo Castellucci en répétition avec les Chœurs de l'Opéra national de Paris
Romeo Castellucci en répétition avec les Chœurs de l'Opéra national de Paris © Elena Bauer / OnP

Et Barbara Hannigan enflamma La Voix humaine…

Autre temps fort de la saison, cette double soirée réunissant Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók et La Voix humaine de Francis Poulenc dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski. Le metteur en scène polonais n’en était pas à son coup d’essai à l’Opéra de Paris. De lui, on se souvient d’Iphigénie en Tauride (repris la saison prochaine), de L’Affaire Makropoulos ou encore du Roi Roger… Pour son grand retour, il s’est attaché à tisser des liens dramaturgiques étroits entre l’opéra de Bartók et la tragédie lyrique de Poulenc. Le résultat de ce « double bill » est un objet théâtral et musical étrange et fascinant, une expérience intense pour le public. Sous la baguette d’Esa-Pekka Salonen, la soprano canadienne Barbara Hannigan fait ses débuts à l’Opéra de Paris et nous livre une interprétation incandescente de l’amante passionnée et suicidaire de La Voix humaine : elle se consume littéralement sur scène d’un feu qui ne s’éteint que sur les derniers accords de Poulenc.

Et Faust quitta la Terre pour Mars…

Pour ses débuts à l’Opéra de Paris, le metteur en scène letton Alvis Hermanis s’est emparé du mythe de Faust et en a fait une relecture très contemporaine : s’inspirant du projet « Mars One » qui entend coloniser la planète Mars, voyant dans le cosmologue Stephen Hawking le digne héritier du savant, il a imaginé une mise en scène où le pacte du savant avec le Diable devient un aller simple vers la Planète Rouge. Sous la direction musicale de Philippe Jordan, Jonas Kaufmann, Bryan Hymel, Bryn Terfel et Sophie Koch composaient un plateau vocal de premier ordre.

Et Rosina se libéra des griffes de Bartolo…

Rarement un spectacle aura trouvé casting plus parfait : à l’occasion de la reprise du Barbier de Séville dans la mise en scène électrisante de Damiano Michieletto, Lawrence Brownlee et Pretty Yende ont prêté leurs voix au Comte Almaviva et à Rosina. La soprano sud-africaine, qui faisait ses débuts à l’Opéra de Paris, a composé sur scène une Rosina puissante que son barbon de tuteur Bartolo avait bien du mal à retenir captive… Elle sera de nouveau à l’affiche de l’Opéra dans le rôle-titre de Lucia di Lammermoor tandis que Damiano Michieletto revient la saison prochaine pour une nouvelle mise en scène de Samson et Dalila à découvrir dès le 4 octobre.    
Le Barbier de Séville
Le Barbier de Séville © Julien Benhamou / OnP

Et Rigoletto cessa de rire…

Metteur en scène unanimement célébré de New York à Salzbourg, Claus Guth n’avait jusqu’alors jamais eu l’occasion de réaliser une mise en scène pour l’Opéra de Paris. C’est chose faite avec ce Rigoletto, pour lequel il nous a livré, comme à son habitude, une vision glaçante et chirurgicale qui fait de Gilda, la fille du bouffon, l’objet de tous les fantasmes : l’occasion pour Olga Peretyatko de faire des débuts remarqués à l’Opéra de Paris aux côtés de Quinn Kelsey. Une production qui sera reprise dès la saison prochaine.

Et Lear fut créé en version originale au Palais Garnier…

Dernière nouvelle production lyrique de la saison, la représentation du Lear d’Aribert Reimann, d’après Shakespeare pour la première fois en langue originale au Palais Garnier, aura été l’un des événements marquants de cette saison. Pour l’occasion, le metteur en scène Calixto Bieito nous aura offert un spectacle coup de poing à la hauteur du drame shakespearien. De quoi nous donner hâte de découvrir sa Carmen programmée pour la saison à venir… On ressent encore quelques frissons en songeant à l’interprétation époustouflante qu’a donnée Bo Skovhus de ce roi aux portes de la mort…    
Les artistes de Lear, extrait d'une vidéo réalisée par Sarah Derendinger pour la production
Les artistes de Lear, extrait d'une vidéo réalisée par Sarah Derendinger pour la production

  • « Lear » - Trailer
  • Lear - Aribert Reimann

    — Par En partenariat avec France Musique

Accès et services

Palais Garnier

Place de l'Opéra

75009 Paris

Transports en commun

Métro Opéra (lignes 3, 7 et 8), Chaussée d’Antin (lignes 7 et 9), Madeleine (lignes 8 et 14), Auber (RER A)

Bus 20, 21, 27, 29, 32, 45, 52, 66, 68, 95, N15, N16

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Parking

Q-Park Edouard VII16 16, rue Bruno Coquatrix 75009 Paris

Réservez votre place

Au Palais Garnier, des places à 10 € en 6e catégorie (visibilité très réduite, deux places maximum par personne) sont en vente le jour de la représentation aux guichets du Palais Garnier.

Dans les deux théâtres, des places à tarifs réduits sont vendues aux guichets à partir de 30 minutes avant la représentation :

  • Places à 35 € pour les moins de 28 ans, demandeurs d’emploi (avec justificatif de moins de trois mois) et seniors de plus de 65 ans non imposables (avec justificatif de non-imposition de l’année en cours)
  • Places à 70 € pour les seniors de plus de 65 ans

Retrouvez les univers de l’opéra et du ballet dans les boutiques de l’Opéra national de Paris. Vous pourrez vous y procurer les programmes des spectacles, des livres, des enregistrements, mais aussi une large gamme de papeterie, vêtements et accessoires de mode, des bijoux et objets décoratifs, ainsi que le miel de l’Opéra.

Au Palais Garnier
  • Tous les jours, de 10h30 à 18h et jusqu’à la fin des représentations
  • Accessible depuis la place de l’Opéra ou les espaces publics du théâtre
  • Renseignements au 01 53 43 03 97

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  • Places à 70 € pour les seniors de plus de 65 ans

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