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Spectacle / Événement

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  • Entre   et 

Emilie Brouchon / OnP

Opéra

Le Chevalier à la rose

Richard Strauss

Opéra Bastille

du 09 au 31 mai 2016

4h05 avec 2 entractes

Synopsis

"Le temps, c’est une chose étrange. Tant qu’on se laisse vivre, il ne signifie absolument rien du tout. Et puis, brusquement, on n’est plus conscient de rien d’autre. Il est tout autour de nous. Il ruisselle sur nos visages, il ruisselle sur le miroir, il coule entre mes tempes."

- Der Rosenkavalier, Acte I


« La Maréchale, Ochs, Octavian, le riche Faninal et sa fille, tous les liens vitaux qui se sont tissés entre eux, ces personnages, on dirait que tout cela s’est trouvé là ainsi, il y a très longtemps. Aujourd’hui, ils ne m’appartiennent plus, ni non plus au compositeur, ils appartiennent à ce monde flottant bizarrement illuminé, le théâtre, où ils se conservent en vie depuis déjà un certain temps et se conserveront peut-être encore un moment. » La vision d’Herbert Wernicke, metteur en scène majeur, et trop tôt disparu, du dernier quart du XXe siècle, qui maîtrisait en démiurge jusqu’au moindre élément de ses productions, s’approprie et prolonge cette évocation de Rosenkavalier par son librettiste, Hugo von Hofmannsthal.

Aboutissement d’une pensée dramaturgique sans concession aux traditions, ses décors vertigineux sont d’abord et surtout une formidable machine théâtrale, où l’illusion se donne pour telle à travers les jeux de miroirs infinis d’une Vienne au crépuscule, dont les reflets rococo ne sont dès lors qu’un leurre, un masque que chacun des personnages arbore avec suffisance, naïveté ou coquetterie – la Maréchale se regarderait-elle encore dans la glace si elle n’y voyait que l’empreinte du temps qui passe ? Après onze ans d’absence, Anja Harteros fait son retour à l’Opéra de Paris dans l’un des plus beaux rôles du répertoire, sous la baguette de Philippe Jordan.

Durée : 4h05 avec 2 entractes

Artistes

Comédie pour musique en trois actes (1911)

En langue allemande

Équipe artistique

Distribution

Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Choeur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Coproduction avec le Festival de Salzbourg

Surtitrage en français et en anglais

Galerie médias

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Podcast Le Chevalier à la rose

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"Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris" - en partenariat avec France Musique

07 min

Podcast Le Chevalier à la rose

Par Stéphane Grant, France Musique

  • En partenariat avec France Musique

Avec « Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris », nous vous proposons des incursions originales dans la programmation de la saison à la faveur d’émissions produites par France Musique et l’Opéra national de Paris. Pour chacune des productions d’opéra et de ballet, Judith Chaine pour le lyrique et Stéphane Grant pour la danse, vous introduisent, avant votre passage dans nos théâtres, aux œuvres et aux artistes que vous allez découvrir.      

© Celluloid Dreams

Le temps des amours

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Regard sur Le Chevalier à la rose

14 min

Le temps des amours

Par Clélia Renucci

Si une relation amoureuse entre un homme d’âge mûr et une jeune femme semble la chose la plus naturelle du monde, une certaine morale réactionnaire n’a de cesse de stigmatiser les femmes éprises d’amants plus jeunes qu’elles. Ces dernières années, un mot-repoussoir a même été forgé : cougars. Auteur de Libres d’aimer, les cougars dans la littérature, Clélia Renucci nous propose de dépasser les préjugés et, se penchant sur la relation de la Maréchale et d’Octavian, plonge au cœur de la complexité psychologique du Chevalier à la rose.    

« Ces figures étaient là et jouaient devant nous encore avant que nous eussions des noms pour elles : le comique, le barbon, la jeune fille, la grande dame, le « chérubin ». C’étaient des types dont l’individualisation demeurait réservée à la plume chargée de l’exécution. »

Hugo von Hofmannsthal, le librettiste du Chevalier à la rose décrit ainsi la genèse du scénario. C’était dans les années 1900, aujourd’hui, il écrirait sans doute « cougar » pour « grande dame ». Car si le mot est récent – entré dans le dictionnaire en 2012 – le principe ne l’est pas. L’attrait réciproque des femmes mûres et des hommes jeunes n’a pas d’âge… Dans la Bible, Joseph n’a-t-il pas été emprisonné pour n’avoir pas répondu aux avances de Putiphar ? Et à l’inverse chez Stendhal, la mort de la Sanseverina ne suit-elle pas de près celle de son neveu Fabrice Del Dongo qui n’a pourtant jamais répondu à son amour ? A ces passions tragiques, Hofmannsthal choisit d’opposer la légèreté d’une farce viennoise.

Lorsque la belle Maréchale perçoit la distance temporelle qui la sépare de son jeune amant Octavian, elle lui rappelle qu’il faut « prendre les choses à la légère, le cœur léger et les mains légères, les tenir et les prendre, les tenir et les laisser… », halten und nehmen, halten und lassen

Et cette légèreté se retrouve dans l’ensemble du livret de cette « comédie pour musique ». Nulle larme, nul cri ne viennent perturber le transfert de l’amant par la « grande dame » à la « jeune fille », juste un symbole scénique : la scène s’ouvre sur un lit aux draps défaits et se referme sur celle d’un mouchoir. Comme le voulait Richard Strauss, « il faut pour la Maréchale garder sa grâce viennoise et sa légèreté, montrer des yeux à la fois humides et secs. »

Elle a eu des amants, elle en aura sûrement encore. Cette transition est une prise de conscience, non une fatalité. « Légers, nous devons l’être […] la vie punit ceux qui ne le sont pas. » Certes, mais on lit aussi chez Hofmannsthal qu’il faut « cacher la profondeur. Où ? A la surface ». Gageons !

La Maréchale sent la fatalité du temps reprendre ses droits sur elle.

L’opéra oppose quatre personnages : la cougar, le barbon, le chérubin et l’ingénue. Commençons par le couple formé par Octavian, dix-sept ans, et la Maréchale, trente-deux ans. Un prénom et un titre, la dissymétrie des situations est d’emblée avancée.

Leur liaison repose sur une distorsion admise, et même recherchée par la Maréchale. Alors que le couple s’ébat au petit matin dans un lit défait, au premier bruit, elle croit entendre son mari revenir de la chasse et fait disparaître son amant derrière le paravent. Octavian oublie son épée sur le lit au moment de se cacher, elle lui en fait reproche : « Etourdi ! Est-ce que ce sont là des façons de faire ? » Et Octavian de répliquer : « Si mon comportement vous paraît trop stupide et si vous ne comprenez pas que je n’ai pas l’expérience de ces choses, alors je ne comprends plus ce que vous trouvez en moi. » Ce qui plaît à la Maréchale, c’est justement que son amant soit un novice. Alors qu’elle n’en est pas à sa première expérience, même si elle ne veut pas s’étendre sur celles-ci devant « celui » du moment : « Tu n’as pas besoin de tout savoir. »

Un autre jeu de scène est éloquent : Octavian se retrouve souvent dans la même position, la tête sur les genoux de sa maîtresse, se laissant caresser les cheveux en bon enfant qui veut du réconfort. Et les mots d’amour qu’ils échangent « Marie-Thérèse ! – Octavian ! – Bichette ! – Quinquin ! – Mon trésor ! – Mon petit ! », nous rappellent l’initiation de Rousseau par Madame de Warens et leurs surnoms respectifs – « petit », « maman » – d’autant que leur liaison a inspiré le librettiste.

Mais à la différence des Confessions, nous n’assistons pas aux prémices de leur relation, déjà bien avancée et vouée à se terminer bientôt si l’on en croit les propos d’Octavian : « Wie du warst ! Wie du bist ! », « Comme tu étais ! Comme tu es ! », du passé au présent, le futur n’est pas évoqué… La cougar semble figée dans une image ou un souvenir qui n’est pas destiné à évoluer dans l’esprit du jeune homme.

Dans ces deux phrases exclamatives ouvrant l’opéra, Octavian enferme sa maîtresse dans un présent-passé auquel il ne donne pas la chance de continuer à exister. Il est heureux d’être « le seul qui sache qui [elle] est » et le seul aussi pour lequel elle existe en tant que telle. Elle, au contraire, s’exprime souvent au futur, sûre de son destin, comme de celui de son amant. « Quinquin, aujourd’hui ou demain, tu t’en iras, et tu me quitteras pour une autre femme, plus jeune et plus belle que moi ». Et à la fin de l’acte III aussi, lorsqu’elle accorde à Octavian la main de Sophie, « aujourd’hui ou demain ou après-demain. Ne me l’étais-je pas déjà dit ? Cela arrive à toutes les femmes. […] Je me suis juré de l’aimer comme il le fallait, et d’aimer même l’amour qu’il aurait pour d’autres. Je ne m’étais certes pas doutée que cela devrait me surprendre si vite ! ».

La Maréchale sent la fatalité du temps reprendre ses droits sur elle :

« Le temps, c’est une chose étrange. Tant qu’on se laisse vivre, il ne signifie absolument rien du tout. Et puis, brusquement, on n’est plus conscient de rien d’autre. Il est tout autour de nous. Il est même en nous. Il ruisselle sur nos visages, il ruisselle sur le miroir, il coule entre mes tempes. Et, entre toi et moi, il coule encore, sans bruit, comme un sablier. »

Et en effet, la mécanique du temps prend les commandes. Hippolyte son coiffeur « a fait [d’elle] une vieille femme ». Par le prénom qu’il choisit, le librettiste nous donne tout de même un indice : Hippolyte n’est plus le fils du grand Thésée mais le coiffeur malhabile d’une aristocrate viennoise. Cette Phèdre ne sera pas une héroïne tragique mais un fantoche de la commedia dell’arte ; son amant lui échappera, non pas écrasé par ses chevaux mais propulsé au rang de Kavalier.

Si la première scène de l’acte I nous menait sur la piste de l’opérette et du mari trompé par sa femme cachant son amant dans le placard, l’arrivée du baron Ochs, « cette grosse voix stupide », nous en détourne. Le « Don Juan de village », comme l’appelle Richard Strauss, a besoin de la Maréchale : il est sur le point d’épouser une « petite poupée appétissante, quinze ans à peine », une Mademoiselle Faninal au père généreux et à la dot conséquente. Selon la coutume viennoise, le futur mari doit offrir à sa promise une rose d’argent, portée par un chevalier, rite qui consacre la demande en mariage. Il cherche un jeune homme pour accomplir cette tâche…

Un quatuor se forme alors et deux couples apparaissent : la cougar et son amant, le barbon et sa promise. La modernité absolue de Strauss et d’Hofmannsthal nous impose d’observer de plus près ce parallélisme. Les personnages de la Maréchale et du baron Ochs sont en apparence les mêmes : tous deux sont trop vieux pour leur proie mais leur perception du temps n’a rien de semblable. L’émouvante anamnèse de la Maréchale le prouve :

« Le voilà qui s’en va, ce mauvais sujet, bouffi d’orgueil, et il obtient une jolie petite jeunesse et un beau magot par là-dessus, comme si c’était naturel, et il se figure encore que c’est lui qui se compromet.

Pourquoi vais-je me mettre en colère ?

Ainsi va le monde. Je me rappelle fort bien une autre jeune fille qui est sortie tout droit du couvent pour être soumise aux liens sacrés du mariage.

(Elle prend un miroir.)

Où donc est-elle maintenant ? Oui, où sont les neiges d’antan ?

Je dis cela comme ça : mais il me paraît si invraisemblable que j’aie pu être cette petite Resi et que je serai un jour une vieille femme.

La veille dame, la vieille Maréchale !

« Regardez, voilà la vieille princesse Resi ! »

Comment ces choses-là arrivent-elles ? »

Alors que la vie de la Maréchale est derrière elle, elle perçoit la pesanteur du statut de femme dans une société où les hommes sont les maîtres du jeu, jusque dans ceux de la séduction : « Ce ne sont là que des jeux pour [leur] convenance ! Mais nous, mon Dieu, nous en faisons les frais, nous en subissons la honte, mais c’est finalement bien fait pour nous. »

La vie du baron en revanche, est devant lui. Pas encore marié, il peut la croquer à pleines dents. Si l’on compare leurs tirades, la différence est édifiante : de « meules » en « boudoirs », le baron vit de séductions éphémères, alors que la Maréchale se repose sur ses souvenirs, et comme elle l’exprime si bien, « c’est dans le comment que réside la grande différence ».

On pourrait croire la Maréchale désabusée par sa lucidité, rendue mélancolique par le constat de l’inégalité des rapports entre les hommes et les femmes, par l’évolution inexorable du temps… mais, et c’est la finesse du librettiste, si la cougar n’est pas maîtresse du temps chronologique, c’est elle qui organise le temps scénique. Elle est le fatum de la pièce, le « grand ordonnateur », celle par qui ce qui doit arriver, advient.

Ainsi, c’est elle qui, au cours de son dialogue avec le baron, lui propose que « son cousin, le jeune comte Octavian », se charge de remettre la rose à sa fiancée. Elle offre alors, consciemment, un sésame, un permis de tromper à son amant qui, aguerri par son initiation, saura d’autant mieux séduire l’ingénue promise au grossier baron Ochs. La comparaison n’en sera que plus écrasante.

Et au troisième acte, c’est elle aussi qui résout le dilemme d’un Octavian penaud, ne sachant comment justifier son coup de foudre pour Sophie, devant celle qui est encore sa maîtresse, « Allez vite et faites ce que vous dicte votre cœur. […] Vous êtes bien un homme ! Allez. »


Où cacher donc la profondeur ? À la surface.

Le seul moment où la Maréchale quitte son rôle de metteur en scène, c’est lorsqu’elle laisse Octavian partir sans l’embrasser. Dans un ultime sursaut, elle le rappelle, envoie ses valets… Déjà loin, il est parti sans se retourner. La grille refermée, il a probablement ressenti la fraicheur et la promesse d’un amour à nouveau. Elle aurait voulu changer de rôle, redevenir pour un instant celle qu’elle fut, mais elle a ouvert une brèche que l’amour des jeunes gens va combler.

Un autre parallèle : Octavian et Sophie partagent un point commun, au-delà de celui de s’aimer au premier regard, ils sont dans la même situation, chacun est engagé auprès d’un personnage qui est son aîné. Les mots qu’ils prononcent lorsqu’ils se rencontrent sont exactement les mêmes :

SOPHIE : Où donc ai-je déjà été où j’étais si heureuse ?

OCTAVIAN : Où donc ai-je déjà été où j’étais si heureux ?

Et pourtant, le « courage » d’Octavian lors de son duel contre le baron est altéré par la couardise dont il fait preuve au troisième acte. Embarrassé par l’arrivée surprise de sa maîtresse, il balbutie, « C’était convenu autrement, Marie-Thérèse, je suis surpris. Voulez-vous que je… ne devrais-je pas… la jeune fille… le père… ».

Au contraire, Sophie, personnage sous-estimé de l’opéra, représente la révolte. Si la Maréchale est une Phèdre qui n’aurait rien de tragique, Mademoiselle de Faninal pourrait être une Antigone. Elle ne suit pas le chemin imposé par son père et refuse d’épouser le baron Ochs, ce Pan qui se croit Apollon à l’affût du moindre « gibier », « comme un bon chien de chasse qui tient une bonne piste. » Elle épouse la jeunesse, brave la colère de son père et brise le sort réservé aux jeunes filles, alors pourtant qu’elle est consciente qu’elle a « d’abord besoin d’un homme pour devenir quelque chose ». Elle parvient même à passer outre sa jalousie envers la Maréchale et sa mature lucidité la rend plus belle encore :

« Je voudrais m’agenouiller devant cette dame et faire quelque chose pour elle, parce que je sens qu’elle me le donne, pourtant elle m’enlève en même temps quelque chose de lui. »

Si l’opéra semble se terminer classiquement par le triomphe de l’amour et de la jeunesse, l’ultime quatuor est moins conventionnel qu’il n’y paraît : au contraire des dénouements moliéresques, ce ne sont pas les pères des jeunes gens qui se réconcilient dans un dernier rebondissement, mais l’ancienne maîtresse et le père de la promise. Cédant en mère sacrificielle la place à la jeune fille, la Maréchale rejoint définitivement le parti des anciens, plus proche désormais de Faninal, à qui elle donne la réplique :

FANINAL (tapotant la joue de Sophie avec bienveillance) : Ils sont ainsi, tous ces jeunes gens.

LA MARÉCHALE : Oui, oui.

Réplique lacunaire qui l’exclut de cette jeunesse qu’elle a vue s’enfuir tout au long de l’opéra et laisse imaginer la naissance d’un autre couple…

Où cacher donc la profondeur ? À la surface de ce tissu blanc, laissé par la jeunesse, mouchoir tombé sur les larmes des plus vieux dont les yeux libertins, l’un humide et l’autre sec, pleurent la perte d’un amant avant de passer au suivant.

La Maréchale, quoiqu’arrêtant les pendules de sa maison, n’a pu empêcher la course du temps et le coup de foudre d’Octavian pour Sophie l’a encore accélérée. La construction des actes et les parallélismes entre les personnages (La Maréchale – le Baron ; la Maréchale – Sophie ; Octavian – Sophie) nous invitent pourtant à nous méfier de cette fin heureuse et à ne pas douter qu’un jour, Sophie rencontrera un jeune homme qui saura la séduire et la désennuyer de son mari, chérubin devenu Apollon, chasseur tous azimuts et libertin consommé. Le baron ne dit-il pas en parlant d’Octavian qu’il a « l’impression de se revoir au même âge » ? Au suivant !


Clélia Renucci est professeur de Lettres Modernes. Elle vient de publier un essai chez Albin Michel, Libres d’aimer, les cougars dans la littérature.

© Élena Bauer / OnP

La rose-miroir du Rosenkavalier

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Un spectacle, un souvenir

05 min

La rose-miroir du Rosenkavalier

Par Arnaud Regnault

Les entrelacs narratifs de Der Rosenkavalier convergent lors de la scène centrale de la cérémonie de la rose. Le comte Octavian, jeune amant de la Maréchale, présente la rose d’argent à Sophie de la part du baron Ochs en guise de demande en fiançailles, comme le veut la tradition. Les deux jeunes gens engagent le dialogue: « On dirait une rose céleste, pas comme celle de nos jardins, une rose du saint paradis. Ne trouvez-vous pas ? » (Sophie, Acte II). Symbole d’un raffinement XVIIIe siècle, vecteur du sentiment amoureux, la rose d’argent est emblématique de cet opéra, et particulièrement de la mise en scène d’Herbert Wernicke à l’affiche du 9 au 31 mai à l’Opéra Bastille. Tout au long des représentations, Arnaud Regnault, Chef d’équipe au sein du service des Accessoires, est garant du bon déroulement de la cérémonie. Il nous livre ses souvenirs de la création de cette production en 1997, et nous dévoile – côté jardin – les secrets de cette rose.    

Sur le plateau, est « accessoire » tout ce qui n’est pas « décor », tout ce qui n’est pas volume. Tout ce qui existe à l’intérieur de l’appartement, de la chambre, de la forêt ou de la rue que le spectateur voit sur scène est géré par le service des Accessoires. Est aussi considéré comme accessoire ce qui relève de l’artifice : les flammes, la fumée, etc. Le service des Accessoires est un service d’une grande importance. Nous sommes environ trente membres permanents et recourons régulièrement à des intermittents du spectacle lorsque la charge de travail est trop importante.

C’est d’ailleurs comme cela que j’ai commencé ma carrière. Der Rosenkavalier, mis en scène par Herbert Wernicke en 1997, est l’un des tout premiers spectacles sur lesquels j’ai travaillé. Quand on est intermittent, on ne connaît pas toujours tous les tenants et aboutissants des spectacles, on est jeté dans la bagarre pour faire des opérations bien précises. Cependant, cette mise en scène m’a marqué. Le stupéfiant dispositif de miroirs mobiles, réfléchissant tantôt les spectateurs transformés en voyeurs, tantôt des pans de décor XVIIIe qui se métamorphosent comme dans une lanterne magique, révélait un metteur en scène en pleine maîtrise des moyens du théâtre. C’était un spectacle de technicien.

En 2006, j’ai été engagé au sein du service des Accessoires à Bastille. C’est donc en tant que Chef d’équipe que je travaille sur la reprise de cette production. Mes missions ont évolué, je dois dorénavant avoir une vision globale de la production, j’encadre les intermittents et j’assure la gestion des accessoires sur le long terme. Néanmoins, le lien avec le plateau est toujours aussi essentiel. Pour chaque spectacle, la gestion des accessoires est divisée entre deux chefs d’équipe, l’un posté à jardin, l’autre à cour. Moi, je suis un « jardinier » ! Nous nous divisons ainsi le travail pour consacrer une attention optimale à chaque objet. Je connais chaque accessoire d’une mise en scène dans ses moindres détails, que ce soit un objet aussi emblématique que la rose d’argent ou le petit vase que personne ne remarque.
Octavian (Susan Graham) remettant la rose d’argent à Sophie (Barbara Bonney). Opéra de Paris, 1997
Octavian (Susan Graham) remettant la rose d’argent à Sophie (Barbara Bonney). Opéra de Paris, 1997 © Eric Mahoudeau / OnP

Depuis ma première rencontre avec ce Rosenkavalier, presque vingt-ans ont passé. La nostalgie qui se dégage de l’œuvre, je l’éprouve aussi d’une certaine manière. Ce spectacle, je le considère comme une ancienne amante, je ressens fortement la distance que le temps a créé avec lui. En vingt ans, la profession a beaucoup évolué : elle s’est davantage ouverte aux femmes, ce dont je me réjouis. Mon équipe est paritaire sur cette reprise. Mais surtout, pour un œil averti, ce spectacle est extrêmement typé « années 1990 ». À l’époque, cette mise en scène épuisait pratiquement tous les moyens techniques du théâtre mais en vingt ans nos possibilités en termes d’effets scéniques ont explosé. À Bastille, les metteurs en scène nous lancent des défis toujours plus fous, car ils savent que nous sommes capables de l’impossible. Notre spécialité à l’Opéra est de savoir jongler entre des reprises d’anciennes mises en scène et des créations innovantes.

Il est rare qu’un accessoire soit si important qu’il figure dans le titre d’un opéra. Cette rose que, selon la coutume, le Chevalier Octavian présente à Sophie pendant l’Acte II pour marquer ses fiançailles avec le baron Ochs a été fabriquée ici-même dans les ateliers. C’est le chef de l’Atelier Accessoires de l’époque, Francis Bécaud, qui l’a conçue selon des dessins très précis d’Herbert Wernicke. Il souhaitait que la rose soit faite en miroir, afin qu’elle réfléchisse les jeux de lumière et que son scintillement occupe tout l’espace. Elle est légèrement plus grande que nature, sa base consiste en une armature en fer recouverte de carreaux de glace taillés sur mesure. Chaque pétale de cette rose a été sculpté séparément selon le même principe, puis assemblé grâce à une colle très forte. Pour nous, accessoiristes, cette rose remplit les critères d’un accessoire parfait : résistant, qui donne l’illusion du réel et respecte les contraintes de l’interprète. Chaque accessoire d’un spectacle est référencé, stocké et appartient ensuite à une banque d’objets qui peuvent être potentiellement réutilisés pour d’autres productions. Nous avons fabriqué un écrin cerné de velours rouge spécialement pour stocker cette rose qui appartient désormais au patrimoine du théâtre et qui, en dépit de la disparition de celui qui l’a imaginée, vivra éternellement.


Propos recueillis par Milena Mc Closkey

  • Le Chevalier à la rose - Richard Strauss

Accès et services

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Place de la Bastille

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Q-Park Opéra Bastille 34, rue de Lyon 75012 Paris

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Dans les deux théâtres, des places à tarifs réduits sont vendues aux guichets à partir de 30 minutes avant la représentation :

  • Places à 35 € pour les moins de 28 ans, demandeurs d’emploi (avec justificatif de moins de trois mois) et seniors de plus de 65 ans non imposables (avec justificatif de non-imposition de l’année en cours)
  • Places à 70 € pour les seniors de plus de 65 ans

Retrouvez les univers de l’opéra et du ballet dans les boutiques de l’Opéra national de Paris. Vous pourrez vous y procurer les programmes des spectacles, des livres, des enregistrements, mais aussi une large gamme de papeterie, vêtements et accessoires de mode, des bijoux et objets décoratifs, ainsi que le miel de l’Opéra.

À l’Opéra Bastille
  • Ouverture une heure avant le début et jusqu’à la fin des représentations
  • Accessible depuis les espaces publics du théâtre
  • Renseignements 01 40 01 17 82

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