À l’occasion des 350 ans de l’Opéra et de l’exposition « Degas à l’Opéra », le Musée d’Orsay invite le Ballet de l’Opéra à se produire en ses murs. Aurélie Dupont, Directrice de la Danse, et Nicolas Paul, Sujet du Ballet et chorégraphe, offrent une création exceptionnelle et invitent les visiteurs à un parcours immersif au sein de l’exposition et des espaces du musée. Rencontre avec Nicolas Paul qui signe la conception et les chorégraphies de cet événement.
Nicolas Paul : Dans le cadre de l’exposition « Degas à l’Opéra » et des célébrations autour des 350 ans de l’Opéra, le Musée d’Orsay a invité le Ballet de l’Opéra national de Paris à se produire in situ. Pour l’occasion, un parcours spectacle qui se déploie dans différents lieux du musée, est proposé aux visiteurs. Plusieurs interventions sont ainsi prévues au cours de ce week-end exceptionnel, qu’il s’agisse de propositions chorégraphiques, de projections vidéo, d’expériences sonores ou encore d’ateliers participatifs. Aurélie Dupont a ainsi souhaité programmer une barre chorégraphiée, un atelier dédié aux costumes et un autre au dessin et au croquis. Pour ma part, pour répondre à cette invitation, j’ai travaillé sur trois thématiques : comment mêler les codes du Musée, ceux de l’Opéra et l’œuvre de Degas. C’est en résonance avec les tableaux exposés, ce qu’ils m’évoquent et ce qu’ils m’inspirent que j’ai conçu les différentes interventions. L’idée était d’inviter le spectateur à une immersion dans un univers, celui du théâtre, et de le faire participer, de le rendre acteur de son parcours.
N. P. : Il y a plusieurs raisons à ce titre. D’abord, il me parle : il y a à la fois la notion d’ambivalence, d’ambiguïté et l’idée de « graphie ». Dans les définitions que l’on peut trouver, ambigramme désigne « la représentation graphique d’un mot qui suscite une double lecture. Grâce à la capacité humaine à reconnaître des caractères réalisés de manière imparfaite, il peut se lire selon différents points de vue, en fixant le regard sur les divers éléments de la représentation.” Il y a donc aussi, dans ce terme, les notions de miroir et de renversement qui se retrouvent dans les différentes performances et installations que j’ai imaginées pour « Degas Danse ».
N. P. : Ce qui m’interpelle chez Degas, c’est le regard qu’il porte sur la danse et sur le corps dansant. C’est déjà un regard très moderne pour l’époque. La représentation qu’il donne de l’Opéra dans ses tableaux est assez troublante : il se place à la fois dans la salle, tel un spectateur, mais aussi en coulisses, tel un initié, celui qui a le privilège d’accéder aux classes et aux cours de danse. Degas porte un témoignage sur ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur du monde de l’Opéra. C’est précisément ce mélange de points de vue que l’on retrouve dans les tableaux, où se mêlent une part de réalité, une part de fiction et d’imaginaire, qui m’intéresse.
N. P : Le public est invité à déambuler dans le musée et à découvrir différentes interventions. J’ai tenté de créer un écho entre ce qui est figé sur les tableaux, le passé, et ce que les danseurs et les spectateurs vivent aujourd’hui. C’est par exemple le cas à travers un parcours sonore où les danseurs racontent leur vécu, leur expérience d’interprètes d’aujourd’hui. Étonnamment, leurs témoignages parlent de situations que le peintre évoque déjà dans ses toiles. Dans ses œuvres, Degas dévoile aussi les coulisses du théâtre, les corps au repos, à l’étirement ou dans l’entraide (enfiler un costume, réajuster un chausson, une coiffure…). L’idée pour moi était aussi de donner des clés sur l’envers du décor, de la performance, et d’interpeller les émotions, d’amener le spectateur à s’interroger. De la même manière, certains tableaux de Degas semblent dresser un portrait du spectateur du XIXe siècle. Le public se retrouve parfois lui-même mis en scène. Je m’interroge sur le spectateur d’aujourd’hui : Que vient chercher celui qui assiste à un spectacle de danse ? Quelles sont ses attentes ? Que lui inspirent les artistes ? Certaines propositions consistent ainsi à casser les codes de représentation, la frontière entre la scène et la salle, pour inviter le spectateur à porter un regard différent sur ce et ceux qu’il voit.
Il ne s’agit pas d’une exposition de danse mais bien plutôt d’une expérience vivante au cours de laquelle j’essaie de convoquer un maximum de codes du théâtre pour créer ce dialogue avec l’œuvre de Degas.