Le 15 décembre dernier, vous avez été nombreux à poser vos questions au danseur Étoile Josua Hoffalt. Rencontre.
Danielle : Bonjour Josua, à quel âge avez-vous commencé la danse et dans quel contexte ?
Josua Hoffalt : J’ai commencé la danse à huit ans, dans le sud de la France, après avoir vu un spectacle de fin d’année à l’école. La rentrée suivante, ma grand-mère m’a proposé de m’inscrire à un cours de danse avec mes cousines. C’était un moyen de me rapprocher d’elles.
Il y avait une vingtaine de garçons et c’était assez stimulant pour moi de voir des "mecs costauds" qui renvoyaient quelque chose de sympathique.
Marco : Le parcours classique qui mène au Ballet de l'Opéra de Paris, à savoir l'Ecole de Nanterre, puis les concours fait que les mêmes danseurs grandissent et vivent ensemble des années durant. Comment vivez-vous cette proximité ?
Josua Hoffalt : Cela peut être très beau. Il y a des gens qu’on connaît depuis presque 20 ans. Je ne suis pas rentré si tôt, je suis rentré à 14 ans. Si je dois cité Axel Ibot, on se connait depuis que je suis rentré dans le Corps de Ballet. Et parfois nos chemins s’éloignent. Samuel Muret aussi, dont je suis toujours très proche et on continue à faire des projets ensemble. Ce sont des gens que je connais depuis l’école, avec qui j’entretiens des liens privilégiés.
Aude : Pouvez-vous nous donner votre plus beau souvenir dans le Ballet de l’Opéra ? Une rencontre, un échange marquant depuis que vous y êtes danseur ?
Josua Hoffalt : Paradoxalement, le souvenir qui me vient à l'esprit n’est pas forcément une rencontre mais le moment où j’ai appris la mort de Roland Petit - ça m’émeut d’en parler. Je me suis rendu compte de tout ce que représentaient ses pièces, notamment pour les hommes. De tout ce que ça représentait pour moi.
Léo : Qu'est-ce que la nomination d’Étoile a changé dans votre vie ?
Josua Hoffalt : Quand j’étais premier danseur, je dansais déjà énormément, et beaucoup de premiers rôles. En étant Etoile, on danse forcément les premiers rôles. Ça m’a permis de faire des rencontres au sein de l'Opéra, ça m'a offert la possibilité de travailler avec tel chorégraphe sur tel programme. Cela m'a également donné une grande visibilité, de la confiance aussi, le supplément de confiance dont j’avais besoin. Une validation de tout ce que j’avais pu faire avant.
© Ann Ray / OnP
Julian : Le statut de danseur professionnel est un peu particulier, à la croisée de l’athlète et de l’artiste. Vous sentez-vous plus artiste ou athlète de haut-niveau ?
Josua Hoffalt : Pour moi, c’est une cette question primordiale. C’est un sujet dont j’ai souvent débattu avec des médecins. Je pense que c’est un mélange des deux. J’estime qu’on est des artistes mais quand, parfois, j’ai entendu certains danseurs et certains anciens danseur Etoiles dire que la danse n’est pas un sport... Certains médecins de l’INSEP affirment au contraire qu’aucun sport n'exige autant de qualité. On a des plages de travail physique extrêmement larges, de façon très régulière. Les danseurs sont des athlètes.
Il faut avoir de "l’explosivité" et de la souplesse, ce qui peut paraître paradoxal, parce que plus on tire sur les muscles plus on perd en "explosivité".
Sophie : Ressentez-vous parfois une lassitude à danser ? Je ne parle pas du corps, qui, pour des raisons diverses, pourrait vous en empêcher, mais de l’envie profonde de danser, chaque jour.
Josua Hoffalt : Oui, bien sûr que ça peut m’arriver. Il y a des choses plus intéressantes que d’autres. Surtout quand on a dansé des pièces qu'on aimait particulièrement et qu’on est sur une pièce qu’on aime un peu moins… L’investissement reste le même, mais le plaisir personnel est un peu différent.
Camille : Vous êtes constamment regardés, photographiés, filmés... Comment vivez-vous ce regard permanent sur vous ? Finissez-vous par l'oublier ?
Josua Hoffalt : Oui, je crois qu’on finit par l’oublier. C’est une histoire d’époque aussi, c’est entré dans les moeurs. La caméra est de plus en plus présente. Même quand on travaille, il peut nous arriver d’utiliser la caméra pour nous corriger. On a tendance à l'oublier.Je ne m’estime pas star interplanétaire et je ne pense pas souffrir du star system… Je suis plutôt tranquille.
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Frédéric : Pourquoi avez-vous été déprogrammé du Lac des Cygnes, contrairement à ce qui avait été annoncé au début de la saison ?
Josua Hoffalt : Je me suis blessé lors d’un spectacle de la soirée Kylian. J’ai une petite déchirure sur un adducteur. Je ne me suis pas arrêté longtemps, j’ai pu reprendre au bout de 8 jours. On en a parlé avec le médecin du sport qui travaille à l’opéra. J’avais déjà eu un "avertissement sans frais". Et faire "Le Lac" impliquait de travailler tous les après-midi tout en assurant le spectacle de Kylian le soir... Ce n'était pas possible. Quand je me suis blessé, je me suis dit : "Tu as travaillé quasiment pour rien !" Finalement, ça se passe mieux. J’ai pu continuer à danser sur le spectacle de Kylian et je me concentre dessus plutôt que de prendre des risques inconsidérés.
Pedro : J'ai eu la chance de voir deux fois le Lac des Cygnes, une fois avec Mathieu Ganio dans le rôle du prince et une fois avec vous. Vous avez une interprétation très différente du rôle. Comment concevez-vous ce personnage ?
Josua Hoffalt : Je trouve super qu’on n’ait pas la même interprétation. C’est important que le public voie des choses différentes. J’ai entendu plein de choses sur le rôle du prince. On m’a souvent parlé de la relation directe du prince avec Rothbart. Bizarrement, j’ai eu davantage envie de m’intéresser aux rapports du prince avec la couronne, au fait qu’à un moment, il va prendre le pouvoir. Je n’avais pas envie d’être actif dans ma relation avec Rothbart. Pour moi, j’étais une victime vis-à-vis de lui et je ne me rendais pas forcément compte de ce qui se passait.
FanBalletOpéra : Vous avez déclaré lors d’interviews précédentes préférer danser des ballets narratifs. Interpréter les ballets de Jiri Kilian vous permet-il de satisfaire ce désir ou en quoi est-ce totalement différent ?
Jiří Kylián dit qu’il demande aux danseurs d’être eux-mêmes et non d’interpréter un personnage. Comment vous êtes-vous préparé pour ces rôles ? Cette recherche vous apporte-t-elle sur un plan purement personnel ?
Josua Hoffalt : Par rapport à la narration, ce n’est pas dans les ballets de Kylian que je vais combler ce besoin. C’est complètement différent. Il a une écriture chorégraphique exceptionnelle. J’aime beaucoup les circuits, j’en cherche en permanence. La chorégraphie de Kylian, ce n’est que ça, il y a énormément de fluidité. Il y a une intériorité si forte dans tous les ballets de Kylian qu’il n’y a pas besoin d’avoir une narration, quelque chose de linéaire. Lui-même, quand il nous parlait, il nous disait : "Je vous demande d’être vous-même en scène, c’est votre personne." C’est rare d’entendre ce genre de discours et d’avoir l’occasion d’y aller aussi simplement, à nu. La seule autre fois où j’ai eu cette sensation, c’était sur un ballet de Mats Ek, c’était la première fois que j’y allais sans filtre.
Agnès ; Josua, vous étiez vraiment extraordinaire (et avez été ovationné) en Frollo dans Notre-Dame-de-Paris de Roland Petit il y a quelques années ; ce rôle représente-t-il quelque chose de spécial pour vous ? Avez-vous envie d'endosser de nouveau des rôles sombres et inquiétants comme celui-ci ?
Josua Hoffalt : Oui. On aime tous jouer les mauvais, ce sont les rôles les plus payants, que ce soit dans les films ou dans les ballets. C’est plus sexy. Ce que j’adore dans ces rôles noirs, c’est qu’à un moment donné, on peut être sombre, sans avoir peur des représailles. J’avais adoré faire Onéguine : c’était une ordure. Ce n’est pas moi, mais je vais prendre plaisir à faire des choses un peu plus sombres. Pour Frollo, c’est le parfait exemple de la narration extra-stylisée. On n’est pas dans quelque chose de très naturel, mais ça fonctionne tellement bien. Il a pris des choses de la comédie musicale aussi, ça me parlait énormément, même dans sa façon de gérer le rapport entre les personnages et le Corps de ballet, comment tout ça s’articule, même en termes d’espace scénique, de lumière. C’est passionnant.
Giselle : Mon frère de 16 ans va bientôt interpréter pour la première fois le rôle de Solor dans la Bayadère de Noureev à son école de danse ; vous qui avez magistralement interprété ce rôle plusieurs fois, quels conseils techniques et artistiques lui donneriez-vous ?
Josua Hoffalt : Je pense que c’est bien d’aller voir quelques danseurs russes. Indépendamment de toute la grosse artillerie qu’on doit sortir dans ce rôle, il y a tout un style de bras, de mains, qui est très important dans ce ballet. La narration n’est pas ce qu’il y a de plus excitant, on vient pour voir des beaux décors et des beaux costumes. Des danseurs comme Mukhamedov. Ou François Alu dans La Bayadère aussi. Il avait une façon très personnelle de l’interpréter. Laurent était le bon intermédiaire entre quelque chose de princier et le caractère.
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Céline : Parmi les ballets auxquels vous avez participé, lequel est votre préféré et pour quelles raisons ?
Josua Hoffalt : Je ne vais pas en citer qu’un : Frollo avec Notre-Dame de Paris, c’était vraiment bien. Onéguine, j’ai vraiment aimé dans le genre romantique, pas de deux, la narration, l’évolution du personnage. Le Lac des cygnes de Noureev, c’est celui que j’ai préféré danser. J’ai adoré travailler avec Mats Ek, j’adore danser la soirée Kylian en ce moment.
On aime tous jouer les mauvais, ce sont les rôles les plus payants, que ce soit dans les films ou dans les ballets. C’est plus sexy.
Caroline : Quel est votre rapport à la danse classique et à la danse contemporaine ? Selon vous, a-t-on besoin de raconter une histoire pour susciter l'émotion ?
Josua Hoffalt : C’est une chance à l’Opéra d'avoir un répertoire extrêmement varié. Je ne crois pas qu’il y ait une autre compagnie au monde qui ait un répertoire aussi varié. On a la chance de passer de l’un à l’autre. Moi, j’en ai besoin. Il y a des périodes où je faisais beaucoup de classique et j’avais besoin de faire du contemporain. La façon de bouger, on a des influences dans l’un et dans l’autre, je ne danse plus le classique depuis que j’ai travaillé avec tel ou tel chorégraphe. On apprend, en fluidité, en qualité de mouvement, ce qu’on ne nous apprend pas forcément dans le classique, mais qu’on peut appliquer au classique.
Je ne pense pas qu’on ait besoin de raconter une histoire pour susciter une émotion. Malgré tout je pense que ce sont les histoires qui touchent le plus les gens. Pour moi, l’exemple parfait, c’est que les gens continuent à aller au cinéma parce qu’on leur raconte des histoires. Si ce n’est pas ça qui marchait, on aurait du cinéma expérimental grand public et ce n’est pas le cas. Une histoire, ce qui peut arriver à quelqu’un, c’est ce qui touche profondément les gens.
Julien : On parle souvent de l'opéra comme d’un art total. Pourrait-on imaginer des danseurs du ballet mêler le chant aux chorégraphies ?
Josua Hoffalt : Ça existe déjà : la comédie musicale. Il me semble qu’il y a une version ballet de West Side Story. Quand je regarde les films de Fred Astaire, il joue la comédie, il danse, il chante. Quand je pense "danse", je pense d’abord à Fred Astaire avant la danse classique. Donc, oui, ça existe déjà et je le mets au même niveau que tous les grands danseurs classiques que j’ai pu admirer. Je pense que ça a déjà existé, peut-être que ça existe moins aujourd’hui. A Broadway, il y a énormément de comédie musicale, mais la danse est un peu moins présente que dans ce genre de films du siècle dernier. J’adorerai faire une comédie musicale, avoir la possibilité de chanter en dansant et en jouant la comédie.
Juliette : Vous avez dit dans une de vos interviews que votre grand rêve était de créer un jour une comédie musicale. Est-ce un genre que vous affectionnez particulièrement et qui vous inspire ? Quelles sont vos comédies musicales préférées ?
Josua Hoffalt : Je ne sais pas si je créerai une comédie musicale, mais y participer en tant qu’interprète, ça fait partie de mes rêves. Je suis un peu old school. Chantons sous la pluie, j’ai dû le voir une cinquantaine de fois. Je montre certaines séquences à mon fils. West Side Story aussi, la séquence d’ouverture, je la regarde tout le temps. J’aime le style comédie musicale américaine, avec la musique qui va avec. Il y a une pièce de Jerome Robbins, qui s’appelle Fancy Free, une pièce de 30 minutes, une histoire de marins que j’adore. Je me le passe de temps en temps. Je rêve de le donner à l’Opéra, même si ça n’est pas forcément notre culture. Je pense qu’on a exploré des styles tellement différents qu'on pourrait le faire.
On a entendu parler de votre passion pour les baskets... à combien de paires êtes-vous ?
Josua Hoffalt : (Rires) Je ne les compte plus. J’ai un peu levé le pied. Plus d’une centaine, je crois. J’en ai donné récemment à des amis danseurs. J’ai vidé un peu ma loge. Je continue à en acheter, mais je me soigne. Il y a quelque chose de très régressif. Quand j’étais gamin, j’avais les chaussures d’Agassi pour faire du sport, et ça m’est resté.
Carmen : Josua, vous avez récemment participé au clip de la chanson « Black Hole » du groupe From Island, pouvez-vous nous parler de cette expérience ? Est-ce quelque chose que vous aviez déjà fait par le passé ou que vous seriez appelé à refaire ?
Josua Hoffalt : C’était la première fois que je participais à un clip. C’était super comme expérience. L’équipe était géniale. On a tourné ça en un week-end, en Corse, deux jours super. J’ai accepté parce que la musique me plaisait. C’était une connaissance de mon frère, il voulait un danseur. On s’est rencontrés, j’ai écouté la musique et elle m’a plu dès la première écoute. Il y a une histoire de feeling. Plus ça va, plus j’ai besoin de me dire que je vais passer un bon moment avec les gens. Dans ma carrière, ce qui importait, c’était le résultat. Aujourd’hui, j’ai envie de passer des bons moments…
Maria : Vous faites partie de la Compagnie 3e étage formée par des danseurs du Ballet de l'Opéra de Paris ; comment articulez-vous vos activités de danseur Etoile et vos projets personnels ?
Josua Hoffalt : Il y a eu des périodes où j’étais extrêmement actif au sein du groupe en tant que danseur, des périodes où j’étais tellement surchargé de travail à l'Opéra, où j’étais moins présent. On a des emplois du temps très riches. Tout ce qu’on peut faire, sur ce genre de projet, ça vient s’ajouter. Les moments où j’avais moins de temps en tant que danseur, on m’a proposé de créer ma propre soirée, on avait une soirée Tchaïkovski, c’était la première fois que je chorégraphiais. Ce sont des périodes assez intenses. Il y a des périodes où on fait tourner les spectacles qu’on a déjà montés. C’est plus facile. Les périodes de création sont plus compliquées, on est davantage en studio. On arrive à faire les deux sans que l’un empiète sur l’autre.
© Ann Ray / OnP
Lucia : Vous avez votre propre marque de vêtements de danse. Quel rapport entretenez-vous avec la mode ?
Josua Hoffalt : Je ne suis pas un "modeux" de l’extrême. J’aime bien les vêtements, même si, plus ça va, plus j’aime les choses assez simples. Je pense que ce truc-là, c’était déjà une envie de travailler avec mon frère sur un projet commun. Il y a toujours eu un atelier couture à la maison, ma mère faisait de la couture, même si elle n’a jamais voulu le concrétiser à un niveau professionnel. Il y avait la volonté de mettre à profit cet héritage. Mon frère travaille plus que moi sur ce projet, même s’il me consulte sur les décisions artistiques, il m’incite à dessiner des pièces. Il y a un lien direct avec ce que je fais parce qu’il y a une partie de l’univers de la danse, qu'on essaie d’ouvrir au maximum et qu’un maximum de personnes se sentent concernées par ce projet.
Oui, on va continuer à développer cette marque. Au fur et à mesure, on essaie d’élargir. On parle de danse au sens large. Sur une collection on fait une vidéo avec un danseur de voguing. Ce sera plus le mouvement que la danse en elle-même. On est déjà sur des projets avec certaines structures.
Angèle : Quel rôle, quel ballet que vous n'avez pas encore dansé aimeriez-vous aborder?
Josua Hoffalt : Le Jeune Homme et la Mort de Roland Petit. J’aurais aimé continuer à danser Mats Ek mais il a dit qu’il ne chorégraphiait plus et il ne veut plus donner ses pièces. J’espère qu’il reviendra sur sa décision.
Masumi : Bonjour, je vous ai vu danser Other dances avec Aurélie (Dupont) à Tokyo il y a 4ans. En mars vous allez danser avec Dorothée (Gilbert). Danser la même œuvre avec l'autre partenaire, vous aurez quelque difficulté ?
Josua Hoffalt : Non, ce sont deux partenaires fantastiques. C’était très simple avec Aurélie et évident avec Dorothée. J’ai déjà dansé plusieurs ballets avec elle. Ce sera complètement différent mais il n’y aura pas de difficulté.
Marine : Est-ce que vous pensez déjà à ce que vous ferez pendant votre retraite ? Ou si une blessure grave vous forçait à arrêter votre métier?
Josua Hoffalt : Il est vrai qu'après ma carrière de danseur, je pourrais imaginer m'occuper à plein temps de ma ligne de vêtements, si ce projet fonctionne de façon pérenne et rentable. J’aime ça, jusqu’à aller choisir les tissus, ça me plait énormément.
Cette ligne de vêtements est vendue à Garnier. Il y a aussi une boutique sous les arches de la coulée verte.
Cécile : Aujourd'hui, le ballet demande des qualités d'acteur de théâtre pour les danseurs principaux, spécialement sur du Noureev, n'est-ce pas? On vous voit très expressif sur scène.
Josua Hoffalt : Oui, complètement. Vous pouvez demander à la quasi totalité des danseurs, c’est là où l'on prend le plus de plaisir. Il y a une part importante de théâtralité dans les grands rôles.
Julie : Lorsque vous dansez sur scène, ressentez-vous les réactions du public dans la salle ?
Josua Hoffalt : Tout est palpable. On entend beaucoup de choses. On entend même une salle concentrée. La salle de Kylian est beaucoup plus concentrée que dans d’autres soirées. Un public qu’on sent moins connecté, moins enthousiaste, on l’entend, mais ça n’impacte pas forcément. Un public déchaîné peut nous transcender certains soirs. Pour l’avoir vécu quelques fois, ça porte vraiment.
La seule fois où la réaction du public m’a sorti du rôle, j’étais aux Etats Unis pour Giselle. On était au 2e acte, à un moment de tristesse, lorsqu'elle est morte et que je suis presque en train de mourir moi aussi. A ce moment-là, les gens se sont mis à applaudir. Je me suis dit : "Ce n’est pas possible, ils ne sont pas dans l’histoire !" En fait, si, mais c’est culturel. Dans certains pays, il y a des publics qui applaudissent systématiquement quand on enchaîne le même mouvement. C’est peut être la seule fois où cela m’a dérangé.
Angèle : Que recherchez- vous dans la danse: la beauté, les sensations du corps, l'interprétation...?
Josua Hoffalt : Pas la beauté. C’est tellement subjectif, la beauté. Parfois, certaines sensations dans certains styles. Ce qui prime, ce sont les émotions. J’aime particulièrement danser à deux ; dans Kylian, il y a énormément de moments où je peux avoir de vrais regards avec ma partenaires et c’est très important. Parfois, dans des chorégraphies, on n’a pas l’occasion de se regarder. Quand il y a des rôles qui permettent d’avoir de vrais échanges avec sa partenaire, c’est beaucoup plus intense.
FanBalletOpéra : Vous dansez en ce moment des ballets de Jiri Kylian. Il dit qu'il demande aux danseurs d'être eux-mêmes et non d'interpréter un personnage. Comment vous préparez-vous à danser ces rôles ? Ce type de travail vous permet-il d'aborder différemment des personnages classiques ?
Josua Hoffalt : Je ne veux plus parler de contemporain ou classique aujourd’hui. Je fais de la danse classique et contemporaine. Il y a autant de chorégraphes qu'il y a de danses contemporaines. Il y a aussi beaucoup de classiques différents. J’essaie de transmettre des émotions dans l’un ou dans l’autre, je vais chercher des choses qui sont en moi. Si l'on parle de narration, forcément, il y a des choses que je n’ai pas vécu mais j’essaie de m’imaginer dans ce contexte : comment je pourrais le vivre et y réagir. A partir de ça, je décide de styliser plus ou moins. Dans le cas de Frollo, on part dans quelque chose de totalement stylisé. Malgré tout, même si c’est extrêmement éloigné de ce que je peux être, il y a quand même une part de moi, à l'origine.
Madeleine : Que pensez-vous du concours de promotion ?
Josua Hoffalt : Bien que ça ne soit pas un moment très agréable, je crois aux vertus démocratiques du concours. Dans de nombreuses compagnies, ça n’existe pas : c’est le directeur qui choisit ceux qui montent ou pas. C’est totalement arbitraire. Là, il y a des membres du ballet, de la direction, des personnes extérieures. C’est un panel plus varié. Pour l’aspect démocratique, je trouve ça pas mal. Je trouve ça bien parce que pour certaines catégories, notamment les quadrilles, certains n’ont pas l’occasion de montrer quoi que ce soit et c’est le seul moment où ils vont pouvoir le faire. Je trouve que malgré le stress que ça peut générer, ça motive les gens. Même si pour certains, c’est pour une courte durée, mais je pense qu’il y a des vertus. Quand je suis rentré, je regardais qui était en haut de la pyramide, ça me faisait rêver, j’espérais pouvoir les rejoindre. Ce n'est pas mon meilleur souvenir mais je pense que c’est nécessaire.
Henri : Avez-vous un message à adresser aux jeunes danseurs qui rêvent de faire de la danse leur métier ?
Josua Hoffalt : C’est un métier merveilleux, un univers fantastique. Je remercie déjà le fait d’avoir fait de la danse pour tout ce que ça a pu m’apporter. Je ne suis pas parisien, je ne suis pas issu d’un milieu trop modeste, mais je ne pense pas que j’aurais pu avoir la vie que j'ai si j’avais suivi le schéma classique des copains que j’avais dans le sud. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas s’épanouir culturellement en province. A titre personnel, ça m’a ouvert des perspectives incroyables. Tous les projets que je réalise aujourd’hui sont liés à la danse.
« Josua Hoffalt » by Benjamin Millepied - 3e Scène