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Vincent Pontet / OnP

Opéra

Tristan et Isolde

Richard Wagner

Opéra Bastille

du 17 janvier au 04 février 2023

5h15 avec 2 entractes

Synopsis

Tristan et Isolde est un immense poème lyrique, un chant d’amour et de mort inspiré par la légende médiévale de Tristan et Yseult et la passion que Richard Wagner nourrissait à l’égard de Mathilde Wesendonck, la femme de son riche protecteur zurichois, Otto. Sur le plan musical, l’opéra marque un tournant dans l’œuvre de Wagner et même dans l’Histoire de la musique occidentale pour ses audaces harmoniques, créant ainsi une tension languissante et toujours retardée. Dans cette mise en scène qui a fait date, Peter Sellars pacifie la houle sentimentale des deux héros dans un cadre épuré de toute contingence terrestre. Détachées du plateau, suspendues tel un retable, les vidéos de Bill Viola exposent la quête initiatique des amants pour atteindre le nirvana. L’association de ces deux artistes majeurs donne vie à un objet artistique unique et total.

Durée : 5h15 avec 2 entractes

Langue : Allemand

Surtitrage : Français / Anglais

  • Ouverture

  • Première partie 80 min

  • Entracte 45 min

  • Deuxième partie 80 min

  • Entracte 30 min

  • Troisième partie 80 min

  • Fin

Voir les actes et les personnages

PERSONNAGES

Isolde : princesse irlandaise
Tristan : chevalier de Cornouailles, neveu du roi Marke
Brangäne : suivante d’Isolde
Kurwenal : écuyer de Tristan
Marke : roi de Cornouailles
Melot : un courtisan
Un berger
Un marin
Le timonier

ACTE I
Deux êtres humains blessés, désespérés et en colère, sont sur le même bateau pour un long voyage. Aucun des deux n’espère y survivre. La détresse suicidaire d’Isolde se manifeste en sautes d’humeur brusques, violentes et destructrices, en sarcasmes amers, en sanglots incontrôlables et en un besoin irrépressible d’ouvrir son coeur. 

Pour Tristan, ce désespoir s’exprime par le silence douloureux et craintif du blocage émotionnel et du déni (durant tout le voyage, il a refusé d’admettre la présence d’Isolde). Leurs plus proches amis, Brangäne, la guérisseuse et prophétesse, et Kurwenal, un vieux soldat, sont déterminés à les aider à traverser ces heures sombres et à les empêcher de s’infliger davantage de souffrances mutuelles. 

Des années plus tôt, Tristan a tué le chevalier irlandais Morold dans un combat et lui-même a été blessé par l’épée empoisonnée de Morold. Cette blessure ne pouvait être guérie que par la fiancée de Morold, la princesse et chamane Isolde. Sous le nom de « Tantris », il s’est présenté à elle pour être soigné. Elle a neutralisé le poison et guéri sa blessure, lui sauvant la vie. Lorsqu’il l’a regardée dans les yeux, elle a renoncé à le tuer. Il est rentré dans son pays. 

Il est revenu, mais pas, comme Isolde l’espérait, pour approfondir leur relation et la mener à son terme. Il est venu comme messager pour la chercher et l’offrir en guise de fiancée-trophée à son ami le roi Marke de Cornouailles. Elle est intérieurement bouleversée et publiquement humiliée. 

Les femmes ont emporté secrètement avec elles un coffret d’élixirs et de baumes puissants, cadeau de la mère d’Isolde. Parmi ceux-ci, le plus sacré et le plus beau est un philtre ou nectar de l’essence la plus pure, la plus distillée, de l’amour. Il y a aussi un breuvage de mort, une solution rapide pour mettre un terme à une vie gâchée, lorsque le chagrin devient trop insupportable. 

Au « climax » du voyage, Isolde partage le cocktail létal avec Tristan. Ils se regardent droit dans les yeux et boivent avidement, tous deux pressés d’en finir. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que Brangäne a échangé les fioles et qu’ils boivent le philtre de pur amour. 

Pendant un instant infini, ils pensent avoir franchi la barrière qui sépare la vie de la mort ; leurs coeurs sont libres. Leur amour secret commence à jaillir en un torrent irrésistible alors que le navire entre dans le port et que le roi Marke est annoncé par des trompettes triomphantes. Les lumières brillantes du monde du pouvoir et du prestige éclipsent alors leur rêve, les laissant troublés et ébahis.

ACTE II
Alors que le crépuscule s’épaissit, le son des cors de chasse résonne dans les bois. Le « meilleur ami » de Tristan, Melot, a organisé une chasse de nuit pour le roi Marke. Dans la lumière mourante, Brangäne devine que la vraie proie est Tristan lui‑même. 

Isolde n’a d’yeux et d’oreilles que pour la beauté de la nature, les harmonies du soir et la bonté qui habite chaque coeur humain. Son coeur est illuminé par la lune, déesse de l’amour, le pouvoir féminin qui agite l’univers de ses remous. Quand elle éteindra la dernière torche, Tristan, qui attend au plus profond de la forêt, doit la rejoindre dans le clair de lune. 

Brangäne sent que les espions sont partout. Elle supplie Isolde de garder la torche allumée, et part veiller pour elle sur la tour de guet. Isolde étouffe la flamme et attend l’approche de son amant dans l’obscurité. L’excitation initiale due au danger laisse place à l’incrédulité, puis à un badinage légèrement embarrassé, et finalement à une explication sérieuse. 

Isolde demande à Tristan pourquoi il a tenté de la trahir. Qu’est-ce qui l’a motivé ? Avec l’aide d’Isolde, et dans des élans douloureux de découverte de lui‑même, il fait revenir progressivement à la surface tout ce qu’il refoulait. L’attrait d’une gloire brillante, les honneurs du monde, et l’éclat du succès ont faussé sa personnalité, le rendant étranger à lui-même. Il a blessé ses meilleurs amis sans s’en rendre compte, et l’écart croissant entre son image publique et celle, toujours médiocre, qu’il a de sa propre valeur, l’ont conduit à se détester. Il ne se sentait pas digne de la femme dont il chantait les louanges et il a essayé de trouver une compensation en se plongeant dans l’aventure guerrière. 

Isolde commence à comprendre que celui qu’elle voyait comme un homme arrogant et froid est en réalité effrayé et désespéré. Mais elle doit également reconnaître combien elle a été blessée, et combien elle souffre encore. Ils peuvent construire la base d’une relation sérieuse, maintenant qu’ils acceptent les failles de l’autre, ses déceptions et ses tromperies, séparant l’imagination qui nourrit les sentiments des mensonges, des fuites et des faussetés qui empoisonnent la confiance. 

Ensemble, ils pénètrent dans le domaine de la nuit, l’identité nocturne, le vaste espace dans lequel chaque être humain s’échappe du quotidien. Toute pensée, toute apparence, tout souvenir s’éteignent dans une nuit de parfait amour, « coeur contre coeur, bouche contre bouche, fondus en un seul souffle ». Alors que leur extase atteint son sommet, le cri d’alarme de Brangäne jaillit dans le ciel nocturne comme des nuages roulant depuis la mer. La vérité que toute joie de ce monde s’éteindra, toute beauté mourra ou sera tuée, sublime et rehausse la musique d’amour – nous entendons la voix céleste de la compassion exposant les quatre nobles vérités du Bouddha aux humains. Isolde commence à se demander ce qui arrivera au matin. 

Marke et Melot les observent depuis les bois. Tristan a une étrange prémonition de sa propre mort et il déclare qu’il est prêt à mourir le soir-même. Isolde lui rappelle doucement le petit mot « et » dans « Tristan et Isolde ». À partir de maintenant il devra essayer de l’inclure dans ses rêves et ses cauchemars : il n’est désormais plus seul. Tristan est Isolde et Isolde est Tristan. Même dans la mort, ils continueront de vivre un amour sans peur, sans nom, sans fin, sans plus de souffrance et de séparation. 

Le jour se lève. Melot choisit le pouvoir politique, dénonçant l’amour interdit avec une grande indignation morale et appelant l’application de la peine maximum pour les gens vulnérables. Le roi Marke sait que ce choix n’offre ni réparation ni justice. Alors qu’il ouvre son coeur, nous comprenons que le roi n’est qu’un homme, qu’il a été le premier amant de Tristan, et que « l’amour qui n’ose dire son nom » est aussi fort qu’un autre. Il est infiniment tendre avec l’homme qui l’a trahi. Il vit un enfer. Il espère comprendre pourquoi un jour. Tristan a fui le roi Marke pour trouver Isolde, puis il a fui Isolde en l’offrant à Marke. 

Couvert de honte, Tristan voit que la seule chose qu’il puisse offrir à Isolde, si elle choisit de rester avec lui, c’est une vie d’échecs et la mort. Il n’a pas de foyer. Il n’en a jamais eu. Il n’a jamais connu son père ni sa mère, qui est morte en lui donnant le jour. Les paroles réconfortantes d’Isolde sont miraculeuses. Où qu’il l’emmène, ce sera son foyer ; elle aime Tristan plus profondément dans son échec que dans ses succès. Trente secondes plus tard, il meurt. Après avoir provoqué Melot, il est tué sans opposer de résistance.

ACTE III
Après l’amour, la dernière tâche de la vie est la mort. Nous plongeons dans les dernières souffrances d’un homme mourant, dans ses hallucinations, ses flashback, ses visions. Les sens sont intermittents, mais la douleur est continue. Une porte s’ouvre et une autre se ferme. Tristan est dans le coma. 

Kurwenal emporte son corps dans sa demeure ancestrale de Kareol. Sur une falaise dominant la mer, il attend et surveille la longue et lente descente de son meilleur ami dans la mort. En haut de la montagne, un berger joue sur son pipeau une ancienne mélodie sans fin qui flotte dans l’air glacé alors que le jour décroît. Kurwenal lui a demandé de jouer un autre air s’il aperçoit un bateau approcher. Il a envoyé chercher Isolde qui, si elle vit toujours, est la seule guérisseuse capable de ramener Tristan des limbes de la mort. 

Tristan s’agite. L’ancienne mélodie le rappelle dans ce monde. Il essaie de décrire le paysage de l’autre côté, un état d’infini et d’ultime oubli. Ici, la lumière du soleil est aveuglante, la souffrance de son corps insupportable. Pourtant « la lumière n’est pas encore éteinte, la maison n’est pas encore sombre : Isolde vit et marche ; elle m’a tiré de la nuit ». Tristan est sûr qu’il voit son bateau au loin, qu’elle vient à lui de nouveau pour soigner ses blessures. Mais il n’y a aucun navire. Sa vie repasse devant ses yeux alors qu’il glisse au-delà du seuil de la conscience. Des souvenirs d’enfance, de ses parents qu’il n’a jamais connus, se mêlent à ceux, intenses, que lui inspire son approche de la mort. La douleur envahit son cerveau. La chaleur de son corps est intenable, l’esprit déchire sa chair. Au point culminant de son angoisse mentale et physique, un instant de clarté intense et éclatant : le breuvage magique – était-ce le poison ou le philtre d’amour ? – n’a été préparé par personne d’autre que lui, avec toutes les blessures, les peines, les souffrances et les joies de sa propre vie. 

Un vaisseau apparaît à l’horizon alors que Tristan est terrassé par une ultime crise. Kurwenal court pour accueillir Isolde. Dans un paroxysme ultime de douleur indescriptible, Tristan déchire ses bandages et saigne joyeusement et sans retenue. Il entend la voix d’Isolde qui approche alors qu’il est en train de mourir. Ne pouvait-il pas attendre encore une heure pour elle ? Elle le supplie de continuer de respirer. Elle a tant à lui dire ! Elle est venue le retrouver comme sa fiancée, pourquoi la punir avec ses funérailles ? Son choc et son chagrin indicibles se réduisent finalement au silence. 

Un second navire est en vue. Marke et Brangäne accostent. Melot marche en tête du groupe. Kurwenal le tue, puis se suicide. Le groupe est venu, trop tard, pour une mission de pardon et de réconciliation. Maintenant Isolde s’agite. Sans quitter Tristan des yeux, elle chante « voyez-le sourire, doucement, doucement, voyez ses yeux s’ouvrir tendrement, oh mes amis, ne voyez-vous pas, ne ressentez-vous pas et ne voyez-vous pas ? N’y a-t-il que moi qui entende ces doux, merveilleux accords de musique qui résonnent joyeusement, lui disant toute chose, réconciliateurs, le traversant, me transperçant, se levant au-dessus de l’océan des bruits, dans l’infini du souffle cosmique, pour se noyer, descendant, vides de pensées, dans la plus haute, la plus pure des joies ».

Artistes

Opéra en trois actes


Équipe artistique

Distribution

Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
En collaboration avec la Los Angeles Philharmonic Association et le Lincoln Center for the Performing Arts

Galerie médias

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© Elisa Haberer / OnP

Une nouvelle Isolde

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Entretien avec Mary Elizabeth Williams

8:22 min

Une nouvelle Isolde

Par Marion Mirande

Pour ses débuts à l’Opéra national de Paris, la soprano américaine Mary Elizabeth Williams incarne Isolde. Après une prise de rôle il y a quelques mois à l’Opéra de Seattle, elle incarne aujourd’hui l’héroïne wagnérienne dans la reprise de la production de Peter Sellars, sous la direction de Gustavo Dudamel.  

© Elisa Haberer / OnP

Mélodie du fond des temps : le cor anglais dans Tristan et Isolde

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Entretien avec Peter Sellars et Christophe Grindel

01 min

Mélodie du fond des temps : le cor anglais dans Tristan et Isolde

Par Marion Mirande

Dans l’immense et continu flot musical de Tristan et Isolde, Wagner a introduit une partie soliste de cor anglais qui résonne telle une mystérieuse voix. Christophe Grindel, soliste dans l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, et Peter Sellars, dont la mythique production est reprise en ce moment-même à l’Opéra Bastille, expliquent la nature de cette page musicale, comparable à une mélodie venue du fond des temps et des êtres.

© Ruth Walz / OnP

Peter Sellars et la musique absolue

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Entretien avec le metteur en scène au sujet de Tristan et Isolde

10 min

Peter Sellars et la musique absolue

Par Marion Mirande

Il est des productions qui, dans l’histoire de l’opéra, font date. Parmi elles Tristan et Isolde mis en scène par Peter Sellars avec les vidéos de Bill Viola. Créée en 2005 à l’Opéra Bastille, elle est reprise en ce début d'année sous l’œil bienveillant de Peter Sellars lui-même. Grand visionnaire de la scène, il parle de cette œuvre - peut-être le plus grand geste de l’histoire de la musique occidentale – et de ce spectacle, aujourd’hui culte, qui semble concrétiser le rêve wagnérien d’une œuvre d’art totale.    

Quel chemin vous a conduit à Tristan et Isolde ?

Tristan et Isolde est une œuvre qui parle à tous, elle concentre un message universel et tragique : le monde dans lequel nous vivons ne peut nous satisfaire. C’est une pensée profondément bouddhiste qui nous renvoie aux quatre nobles vérités. En prenant conscience de la souffrance, on part en quête d’une libération. Wagner a aussi voulu montrer toutes les variations de l’amour : celui qui élève, qui blesse, qui tue, l’amour après la mort, celui inhérent à la résurrection. À 20 ans, je savais déjà que je voulais travailler sur « Tristan ». J’écoutais en boucle l’enregistrement de Wilhelm Furtwängler sans arriver à saisir pleinement cette musique. C’est une œuvre extrêmement complexe à mettre en scène. Dans les trois actes, l’action réelle survient dans les dernières minutes. Les chanteurs peuvent très bien ne rien faire puisque tout le drame est intériorisé.

Quand on discute avec les chanteurs que vous dirigez, on remarque à quel point ils sont touchés par le fait que vous leur demandiez de la vérité et peu de théâtralité.

Ce qui m’intéresse le plus est l'humain en tant que miracle. Quand j’étais jeune, mes spectacles étaient critiqués pour manquer de théâtralité dans le jeu. Or pour moi, la vie politique l’était bien assez et ça me suffisait ! J’ai donc cherché une forme d'expression qui délaisse la pure théâtralité mais qui mette en avant l’être humain, avec ses fragilités et sa luminosité. Il faut parfois beaucoup de patience et d’implication avant de voir la personne se révéler. Mais cette patience vaut la peine. C’est alors un immense privilège d’assister à cette naissance. Les artistes sont des gens incroyablement généreux et courageux que j’invite à faire des choses très difficiles. Mes spectacles peuvent paraître dépouillés mais ils sont enrichis par la contribution de tous ces artistes. Le fait d’avoir des espaces non illusionnistes mais nus permet de mieux saisir leur présence que je souhaite grande. Si on peut sentir la majesté de la personne, le but est atteint.

Dans « Tristan », votre travail sur l’espace s’étend du plateau à la salle où les chanteurs sont dispersés. C’est une expérience très forte pour le spectateur qui se retrouve enveloppé par la musique.

C’est exactement ça. La musique de Wagner est immersive. On est complètement englouti par cette partition qui est comme une vague océanique. C’est quelque chose qui doit se vivre de l’intérieur. Wagner souhaitait que l’expérience soit totale, qu’on ne puisse pas imaginer un ʽ en dehors ˊ. L’idée de mettre les chanteurs, les artistes des Chœurs, le cor anglais dans la salle vient de là, mais aussi pour éviter qu’on soit face à une simple vie d’écran. Il fallait introduire une dimension dans l’espace sonore. Les vidéos de Bill ont en effet un aspect ʽ plat ˊ... Mais elles sont aussi profondes. Elles nous projettent dans la nature et rendent comptent des sensations éprouvées à son contact. C’est touchant de voir à la Bibliothèque de l’Opéra les maquettes du XIXe siècle.. Les arbres sont peints avec beaucoup de finesse mais sont dénués de vie. Rien ne bouge. Que Bill ait fait entrer la forêt californienne dans ce théâtre, voir les arbres être sensibles au vent, à la lumière, c’est extraordinaire. Il a aussi très bien compris que la forêt n’est pas quelque chose qu’on vit frontalement mais qu’on traverse. Il fallait trouver une façon d’y pénétrer.

Le fait d’avoir les chanteurs à proximité permet aussi de donner une forme intime à cette œuvre aux dimensions musicale et dramatique incommensurables.

Je voulais éviter que les chanteurs soient comme une image distante. Ils devaient être proches de la fosse, proches des spectateurs pour que l’expérience soit sensuelle. On doit pouvoir sentir chaque mot, chaque respiration. L’angoisse des chanteurs doit devenir la nôtre. Mais Wagner a aussi besoin de distance. Pour les appels de Brangäne, cette musique sublime doit être perçue comme si elle venait de la lune. Alors que les deux amants font l’amour, sont coupés du monde, ces appels d’où viennent-ils ? Sont-ils seulement réels ? Leur provenance et leur dispersion dans l’espace doivent être nimbées de mystère. De même que la menace des cors doit être perceptible partout. Au premier acte, le chant des marins qui conduisent le navire nous renvoie au XIXe siècle et au mécontentement sous-jacent d’une classe sociale... On est presque chez les Nibelungen !

Les voix doivent physiquement se trouver dans des lieux où on peut sentir les échos de ces événements. Ils deviennent des espaces de mémoire, prophétiques dans une dramaturgie sans événement.

Comment vous et Bill Viola vous êtes-vous retrouvés associés dans ce projet ?

Je fréquentais Bill depuis longtemps à Los Angeles et espérais l'amener au théâtre. Mais il ne voulait pas s'engager pour la scène qui, à ses yeux, ne peut jamais être aussi propre et ciselée que l’est une œuvre dans un lieu d’exposition. C’est finalement à son invitation, et dans un musée, que nous avons travaillé ensemble pour la première fois, à l’occasion de sa première rétrospective dont nous avons conçu la scénographie. À cette époque, je lisais ses cahiers dans lesquels il annote depuis des années ses pensées et réflexions. Je lui ai proposé de travailler sur « Tristan ». Nous avons beaucoup discuté de l’œuvre. Un jour, il a fermé sa porte et, deux ans plus tard, il présentait cinq heures de vidéo. Ce fut un véritable choc.

On reproche souvent à ses vidéos de phagocyter l’opéra de Wagner, mais on oublie combien elles sont en phase avec le temps dicté par l’action...

Oui. À la différence d’un décor avec des toiles peintes, les vidéos de Bill Viola sont en mouvement. Elles amènent une temporalité qui suit la musique de Wagner. À ce titre, elles sont au ralenti. Ce procédé révèle alors les secondes dans les secondes, les minutes dans les minutes, etc. Seule cette expérience de l’intériorité du temps, comme lors de longs pèlerinages, nous permet d’avoir des révélations, de comprendre l’essence des choses. Chez Wagner, il y a une temporalité très étirée qui dialogue avec une action soudaine qui ne dure que très peu de temps. Il fallait amener cet instant, le rendre étonnant en créant un objet qui, durant 90 minutes, maintient une tension.

De même que les vidéos rendent visuellement compte de la temporalité dramatique de l’œuvre, la musique nous permet d’envisager différemment une œuvre visuelle qu’on a pu voir dans des lieux d’exposition...

Aucune des vidéos exposées n’est comparable à cette expérience. L’œuvre de Bill n’est d’ailleurs pas faite pour être présentée dans un musée ou une galerie de type white cube. Les ambiances nocturnes de nombre de ses pièces confirment qu’elles doivent être entourées d’obscurité. Et « Tristan » est lui-même un poème de la nuit. On peut le comparer à ce moment de prière avant l’aube que l’on retrouve dans la tradition de l’islam, du bouddhisme, chez les moines chrétiens, où le désir est en lutte avec le corps et l’âme.

Vous évoquiez en début d’entretien la dimension bouddhiste de l’opéra - une religion qui intéressait particulièrement Wagner. Pourriez-vous revenir sur l’aspect spirituel de l’œuvre ?

Bill et moi étions particulièrement intéressés par les traditions bouddhistes. Il a pris très au sérieux les étapes qu’on traverse en disparaissant de ce monde : le passage d’un état brûlant à un autre extrêmement froid, les liquides qui s’en vont... On comprend alors ce qui est libéré dans cette lutte. C'est ce que résume le troisième acte. Au bout de quatre heures, la musique devient d'une complexité et d’une tension extrêmes. C’est particulièrement « challengeant » pour les instrumentistes et l’interprète de Tristan de qui on exige une force que personne ne possède arrivé à ce stade. Cette énergie perdue, ils doivent aller la chercher à la source où se trouver un second souffle leur permettant d’achever ce qui semble impossible. Ils sont transcendés. On est alors confronté à la plus belle chose jamais écrite, un monde à la fois sensuel et spirituel qui n’est ni chrétien, ni bouddhiste mais tout ça à la fois. Ceci résume aussi l’œuvre de Bill Viola.

« Tristan » est une œuvre qui, du début à la fin, nous confronte à la mort et nous amène à la regarder différemment…

Complètement. Comment donc mettre en scène cette expérience ? Le troisième acte nous renvoie à la solitude face à la mort. C’est pourquoi j’isole Tristan dans cette expérience. Il est seul sur le lit. Lui et Kurwenal ne se regardent jamais. Ils ne se voient pas, ni ne se touchent. Chacun vit une expérience différente de celle de l’autre. Bien que proches physiquement l’un de l’autre, ils sont déjà très éloignés. Je voulais aussi aborder la question de comment regarder un mort. Quand on se rend compte que le corps n’est plus qu’une coquille. L’être disparaît mais les regards des autres doivent transmettre l’idée qu’il est plus vivant que jamais et, pour la première fois, heureux. Dans le Liebestod, Isolde parle du sourire de Tristan et nous invite à le regarder. Or Tristan n’avait jusque-là jamais souri.

Est-ce pour cela qu’à ce moment, pour la première fois, les chanteurs regardent l’écran où Tristan s’élève ?

Cette image fait référence à la toile du Titien qui obsédait Wagner quand il composait « Tristan »1. De même que dans le tableau, où la Vierge s'élève, portée par un souffle nouveau qui contraste avec le désespoir des gens dans la partie inférieure, Isolde invite ceux qui entourent Tristan, qui sont dévastés, à regarder une autre réalité. Le Liebestod peut être un piège et est souvent traité comme un moment fixe. Musicalement, il nous échappe, rien ne nous a préparés à cette musique. Et rien sur scène ne parvient à égaler ce passage. Or l’apparence que Bill a donné à cette idée de transfiguration est si profonde, si complexe… La rencontre des contraires amène à quelque chose d’extraordinaire. Nous pouvons dire qu’un artiste visuel est parvenu à créer des images aussi transcendantales que l’est la musique de Wagner.


1. L’Assomption de la Vierge, 1518. Wagner alla de nombreuses fois la contempler à Venise, où il composa le deuxième acte de « Tristan ».

Wagner absolu

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La passion dans Tristan et Isolde

06 min

Wagner absolu

Par Valère Etienne / BmO

Pierre angulaire du répertoire lyrique occidental, Tristan et Isolde occupe en même temps une place à part dans l’œuvre de Wagner comme lieu d’une expression superlative des sentiments humains, comme tentative de dire l’ineffable : « Seul l’amour a la connaissance de soi. […] Son essence est inexprimable, on ne peut en exposer que des mouvements et des variations », affirmait Wagner. Jouer « Tristan » est donc un défi qui impose à l’interprète non pas de montrer la passion mais de la vivre.    

On a volontiers le sentiment, avec Tristan et Isolde, d’être en face d’un absolu wagnérien. Que cela tienne à l’aspect « métaphysique » de son sujet, ou à la relative absence des connotations nationalistes et pangermanistes qui dans beaucoup d’autres opéras de Wagner peuvent rebuter les mélomanes les plus hermétiques à son univers, Tristan a une certaine capacité à mettre tous les amateurs d’accord. Car quelles que soient les sources, nombreuses, auxquelles a puisé Wagner (le poème de Gottfried de Strasbourg, les Hymnes à la nuit de Novalis, Lucinde de Schlegel…), le sujet explore finalement dans toute leur pureté les thèmes les plus simples et les plus universels : l’amour, la souffrance et la mort. Et la passion y est dépeinte de façon si absolue que, comme le disait Romain Rolland, Tristan dépasse tous les autres poèmes de l’amour de la hauteur d’une montagne.

L’amour dans Tristan et Isolde apparaît sous son jour le plus métaphysique, a-t-on dit. On le voit par exemple à la manière dont Wagner traite le thème du philtre, qui n’a plus du tout le même rôle ici que dans le mythe d’origine : le philtre, cette fois, a la fonction d’une métaphore poétique ; il ne déclenche pas l’amour de Tristan et d’Isolde, lequel était déjà présent bien avant que les deux amants ne le boivent. Eût-elle été provoquée par le philtre, la passion n’aurait été qu’une passion relative, qu’un phénomène, intégré au monde matériel et temporel des causes et des effets. Elle existe au lieu de cela par elle-même et hors du temps : plutôt qu'une réalité objective, elle est la façon dont les deux amants voient le monde, elle est leur désir et leur volonté projetés sur le monde (on sait à quel point Tristan est marqué par l'influence de Schopenhauer). C'est dire que l'amour de Tristan et d'Isolde n'a pas besoin d'être mis en scène, comme une action : bien plutôt, il habite les personnages de l'intérieur et se loge au cœur du chant et de la musique. Techniquement, cela se traduit par exemple par un abandon du récitatif, au profit de la mélodie continue : il est moins nécessaire de faire progresser une action que de faire vivre un sentiment.    
Ludwig et Malwine Schnorr von Carolsfeld dans les rôles-titres de Tristan et Isolde lors de la création de l’œuvre à Munich, 1865
Ludwig et Malwine Schnorr von Carolsfeld dans les rôles-titres de Tristan et Isolde lors de la création de l’œuvre à Munich, 1865 © Joseph Albert

Vivre et faire ressentir la passion, plutôt que chercher à la dire ou à la montrer, telle était la grande préoccupation de Wagner dans Tristan, plus que dans aucun de ses opéras précédents. N’écrivait-il pas en 1859 à Mathilde Wesendonck, l’inspiratrice de l’opéra, qu’il voulait faire entendre dans sa musique toutes les subtiles gradations des sentiments humains et leurs sauts incessants d’un extrême à l’autre, indépendants de l’action dépeinte et qu’aucun discours n’est propre à exprimer ? Ainsi pensait-il avoir trouvé l’interprète idéal de Tristan lorsque le ténor Ludwig Schnorr von Carolsfeld, créateur du rôle lors des premières représentations de Munich en 1865, comprenait et incarnait immédiatement sa pensée, sans qu’il eût besoin ou presque de trouver les mots pour la lui faire entendre. « Je lui dis à voix basse qu’il m’était impossible d’exprimer aucun jugement sur mon idéal désormais réalisé par lui, alors son œil sombre étincela comme l’étoile d’amour… Un sanglot à peine perceptible, et plus jamais nous ne prononçâmes un mot au sujet de ce troisième acte ». Carolsfeld était si puissamment habité par le rôle de Tristan et en vivait tellement les passions que Wagner ordonna d’interrompre les représentations de l’opéra après la quatrième, craignant pour sa santé même. « Je crois que je n’avais pas le droit d’infliger à un homme un tel état de trouble », dira-t-il. Et, de fait, le chanteur, âgé de vingt-neuf ans, mourut six semaines plus tard… Wagner, bouleversé, fit le deuil à la fois de son ami et de l'interprétation parfaite de sa musique, que Carolsfeld lui avait fait entrevoir et dont il détenait l'ineffable secret.

« Tristan » apparaît encore chez Thomas Mann, dans sa nouvelle éponyme en 1903, comme l'exemple d'une passion représentée en art de façon si pure qu'on ne peut que la jouer en la vivant de l'intérieur, et non l'exprimer ou la décrire. Ainsi lorsque l'ingénue Gabrielle joue au piano quelques passages parmi les plus mémorables de la partition de Wagner (le prélude, le deuxième acte, la mort d'Isolde), toute la force expressive s'en dégage naturellement. À ses côtés, M. Spinell, fin connaisseur, entame une tirade exaltée qui reprend une partie des formules les plus passionnées utilisées par Wagner dans son livret ; mais ces paroles seules, n'étant pas musique par elles-mêmes, ne paraissent à Gabrielle qu'une rhétorique obscure, qui la laisse perplexe. « Je ne comprends pas tout, monsieur Spinell, il y a beaucoup de choses que je devine seulement. [...] Mais comment se fait-il que, vous qui comprenez cela si bien, vous ne puissiez aussi le jouer ? » demande-t-elle. « Les deux vont rarement de pair », reconnaît alors Spinell, pris au dépourvu. Ce que l'on ne peut désigner par des mots, il nous reste à le vivre et à le jouer : c'est là que commence l’art.    

Dessine-moi Tristan et Isolde

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Une minute pour comprendre l’intrigue

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Dessine-moi Tristan et Isolde

Par Matthieu Pajot

Tristan et Isolde est un immense poème lyrique, un chant d’amour et de mort inspiré par la légende médiévale de Tristan et Yseult et la passion que Richard Wagner nourrissait à l’égard de Mathilde Wesendonck, la femme de son riche protecteur zurichois, Otto.

Dessine-moi Tristan et Isolde

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Dessine-moi Tristan et Isolde

Par The Motion Fighters

Motivée par l’amour qui lie Richard Wagner à Mathilde Wesendonck, la composition de Tristan und Isolde dépasse le simple geste lyrique. Son livret transcende la légende médiévale en une métaphysique de l’amour avec son pessimisme et ses tensions. Cette houle sentimentale, la mise en scène de Peter Sellars la pacifie dans un cadre quasi immatériel, épuré de toute contingence terrestre. Détachées du plateau, suspendues tels des retables, les vidéos de Bill Viola exposent la quête initiatique des amants pour atteindre le nirvana. L’association de ces deux artistes majeurs donne vie à un objet artistique unique et total.

  • TOÏ TOÏ TOÏ I 5 questions sur TRISTAN ET ISOLDE avec PETER SELLARS
  • [EXTRAIT] TRISTAN UND ISOLDE by Richard Wagner (Mary Elizabeth Williams - Isolde)
  • [EXTRAIT] TRISTAN UND ISOLDE by Richard Wagner (Mary Elizabeth Williams, Michael Weinius)
  • [EXTRAIT] TRISTAN UND ISOLDE by Richard Wagner (Eric Owens - König Marke)
  • [EXTRAIT] TRISTAN UND ISOLDE by Richard Wagner (Michael Weinius, Ryan Speedo Green)
  • Tristan et Isolde (saison 22/23) - Acte 1

  • Tristan et Isolde (saison 22/23) - Acte 1

  • Tristan et Isolde (saison 22/23) - Acte 1

  • Tristan et Isolde (saison 22/23) - Acte 2

  • Tristan et Isolde (saison 22/23) - Acte 2

  • Tristan et Isolde (saison 22/23) - Acte 2

  • Tristan et Isolde (saison 22/23) - Acte 3

  • Tristan et Isolde (saison 22/23) - Acte 3

  • Tristan et Isolde (saison 22/23) - Acte 3

Accès et services

Opéra Bastille

Place de la Bastille

75012 Paris

Transports en commun

Métro Bastille (lignes 1, 5 et 8), Gare de Lyon (RER)

Bus 29, 69, 76, 86, 87, 91, N01, N02, N11, N16

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Parking

Q-Park Opéra Bastille 34, rue de Lyon 75012 Paris

Réservez votre place
  • Vestiaires

    Des vestiaires gratuits sont à votre disposition à l’Opéra Bastille et au Palais Garnier. La liste exhaustive des objets non-admis est disponible ici.

  • Bars

    La réservation de boissons et restauration légère pour l’entracte est possible en précommande en ligne jusqu’à 24h à l'avance ou auprès des bars avant le début de la représentation.

  • Boutiques

    Divers ouvrages et accessoires sont disponibles dans nos boutiques : Boutique en ligne et librairie-boutique de l'Opéra Bastille.

    EN SAVOIR PLUS.

  • Places de dernière minute

    Des tarifs réduits préférentiels pour les moins de 28 ans, les demandeurs d’emploi et les seniors de plus de 65 ans sont disponibles. 

    EN SAVOIR PLUS.

  • Parking

    Le parking Q-Park Opéra Bastille est à votre disposition. Il se situe 34 rue de Lyon, 75012 Paris.

    RÉSERVER VOTRE PLACE.

Dans les deux théâtres, des places à tarifs réduits sont vendues aux guichets à partir de 30 minutes avant la représentation :

  • Places à 35 € pour les moins de 28 ans, demandeurs d’emploi (avec justificatif de moins de trois mois) et seniors de plus de 65 ans non imposables (avec justificatif de non-imposition de l’année en cours)
  • Places à 70 € pour les seniors de plus de 65 ans

Retrouvez les univers de l’opéra et du ballet dans les boutiques de l’Opéra national de Paris. Vous pourrez vous y procurer les programmes des spectacles, des livres, des enregistrements, mais aussi une large gamme de papeterie, vêtements et accessoires de mode, des bijoux et objets décoratifs, ainsi que le miel de l’Opéra.

À l’Opéra Bastille
  • Ouverture une heure avant le début et jusqu’à la fin des représentations
  • Accessible depuis les espaces publics du théâtre
  • Renseignements 01 40 01 17 82

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  • Places à 70 € pour les seniors de plus de 65 ans

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Tristan et Isolde

La vraie-fausse histoire de Tristan et Isolde

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