Dans sa mise en scène de
La Flûte enchantée, donnée pour la
première fois à l’Opéra de Paris en 2014, Robert Carsen utilise la métaphore
des saisons pour faire évoluer les personnages de ce conte initiatique. Il joue
également avec les éléments : l’« épreuve du feu », intervenant
au début de l’acte II, revêt ainsi une apparence saisissante. Alexis Mazaloubaud, responsable
des effets spéciaux et pyrotechniques à l’Opéra Bastille, revient sur la
conception de cette scène.
La première fois que j’ai travaillé sur des effets de feu pour Robert Carsen, c’était en 2001 pour Rusalka d’Antonín Dvořák : une immense flamme qui montait à six mètres de haut sur 10 mètres de large, avec une soliste à proximité, c’était incroyable ! Mais la demande qu’il nous a faite presque quinze ans plus tard pour La Flûte enchantée représentait un autre défi de taille : mettre en place, sur une durée d’à peine une minute trente, deux rampes de feu de 13 et 15 mètres qui puissent être franchies par les deux interprètes de Pamina et Tamino.
Il faut savoir qu’il est peu commun de travailler sur des surfaces aussi larges. Habituellement, nous nous occupons plutôt de petits foyers, tels des bougies ou des flambeaux. Ici, il a donc fallu beaucoup de temps avant de trouver un procédé adéquat. Nous avons finalement conçu des rampes semblables à des tuyaux en métal coupés sur leur longueur, dans lesquels sont logées une série de mèches imbibées d’un produit inflammable, allumées simplement au briquet, de part et d’autre des rampes. Puis, elles sont fermées par un système mécanique qui étouffe le feu.
Il nous a tout de suite paru évident qu’il serait impossible pour les chanteurs de traverser les flammes pieds nus. Nous avons donc trouvé un dispositif particulier : mettre le feu en route en deux temps. Sur les grandes parties latérales, d’abord. Les parties centrales s’enflamment quant à elles une fois que les chanteurs les ont traversées, en partant de ce que nous appelons la face (premier plan) vers le lointain (second plan). Puis, les deux chanteurs font face au public, derrière les deux rampes allumées.
Pour mettre en place cet
effet impressionnant, quatre techniciens sont placés sur les côtés et deux sous
la scène pour la partie centrale afin d’allumer et d’éteindre mécaniquement ces
deux rampes. La pluie, qui intervient à la fin de la scène, n’a donc en réalité
aucun effet sur l’extinction des flammes ! Elle est d’ailleurs constituée,
à la demande de Robert Carsen, de petites perles de verre.
Notre priorité est évidemment la sécurité. Des pompiers sont systématiquement présents en coulisses. Les nombreux artistes des Chœurs, enroulés dans des draps blancs à proximité des flammes, doivent se tenir à une distance d’au moins un mètre. Lorsqu’ils se lèvent pour enjamber les rampes éteintes, il arrive cependant qu’il reste de petits résidus de flamme, ce qui peut être gênant pour eux. Des techniciens en costume peuvent alors faire irruption sur le plateau avec des serpillières, ce qui les distingue quelque peu des autres personnages !
J’ai retrouvé cette
production avec beaucoup d’enthousiasme. En tant que responsable des effets
spéciaux, je m’occupe également de l’eau, des effets de fumée et du vent. Avec
ces quatre éléments, il y a une infinité d’effets possibles. Cette saison, pour
La Fille de neige par exemple, je
vais devoir travailler sur de grands feux de bois disposés sur scène. Quant à Carmen, il s’agira de réussir à faire flotter
le drapeau de l’Espagne…
Propos recueillis par Juliette Puaux