L’Opéra Bastille remet à l’affiche la production du Barbier de Séville de Damiano Michieletto, jeune metteur en scène très prisé qui électrise l’opera buffa de Rossini. Pour notre plus grand plaisir !
Lorsque le rideau se lève à l’Opéra Bastille sur la production de Damiano Michieletto, ces murs d’immeubles tagués, ce bar, le « Barracuda », et son enseigne en lettres roses néon – où se prélassent quelques habitués - cette vieille Ford bleue parquée au milieu de la scène peuvent surprendre le spectateur. En transposant l’intrigue dans le quartier populaire d’une ville méditerranéenne archétypale, le metteur en scène italien reproduit un quotidien ordinaire d’aujourd’hui, dans ses détails les plus typiques : jeu de cartes, bières entre voisins, vêtements suspendus aux fenêtres. Toutefois, le spectateur, aujourd’hui plus familier de ces audaces, s’y reconnaît très vite. Le balcon, élément iconique du livret et sur lequel repose l’intrigue entière n’a pas disparu : il opère toujours la liaison entre un extérieur ouvert et le confinement du monde domestique, seule garantie pour Rosina d’un unique espace de liberté qui est aussi, plus largement, celui de l’opéra.
Pour Michieletto, un seul décor suffit et, à l’aide d’une tournette, il fait apparaître tour à tour la façade de l’immeuble ou l’intérieur de la maison du Docteur Bartolo. Cette coupe d’espace, matérialisée par un jeu d’inversion où l’intérieur est aussi suggestif que l’extérieur, laisse place à celle, plus symbolique, d’un huis clos intérieur écrasant qui étouffe les désirs d’émancipation de la jeune fille. Si les balcons et fenêtres sont sans cesse habités et fourmillants, évoquant les films italiens des années soixante, l’intérieur populaire et coloré rappelle les intérieurs des films d’Almodovar, les photographies de Robert Polidori ou encore les romans chauds et turpides de Federico García Lorca.
Ce sont autant de références qui viennent nourrir l’univers du metteur en scène italien qui souhaite, de toute évidence, replacer son barbier de Séville dans une riche tradition populaire, sociale et latine. Comme la chambre de Bartolo, débordant de vieux trophées et de dossiers, trahit l’avarice du personnage, le metteur en scène mobilise un fourmillement scénique, une accumulation d’informations, pour épaissir ses personnages et les doter d’un passé tangible. Il n’hésite pas non plus à resserrer les liens entre les personnages – Berta n’est plus la femme de chambre mais la sœur de Bartolo- afin d’ancrer l’opéra, non pas dans une comédie sociale où les problématiques rejoignent des questions de pouvoir, mais dans une histoire de famille plus profonde.
Rossini aujourd’hui
« Pour
moi, il est évident que tous les livrets utilisés par Rossini nous parlent de la
vie d’aujourd’hui et du monde actuel. » Comme l’explique le metteur en scène,
actualiser le livret est la seule manière de rendre vivante cette
comédie : « Les problèmes sont toujours les mêmes. L’histoire raconte
l’oppression d’une jeune femme par un homme qui la désire sexuellement. Le vrai
problème n’est pas l’argent. ». Ainsi les personnages, à en juger les
croquis de la costumière Silvia Aymonino, sont plus inspirés d’icônes pop du XXe
siècle que par la mode du XVIIIe. Le comte a des airs de Pete
Doherty et l’ombre d’une Penelope Cruz
plane sur Rosina. Les murs de sa chambre, tapissés de posters de chanteurs et
de jeunes acteurs - on remarque surtout celui de Johnny Depp – nous rendent cette
captive familière et voisine. Rosina n’est plus la pupille aristocratique, bien
élevée et languissante mais une adolescente, dans toute son actualité,
insolente et déterminée.
Nous sommes loin de la version de Beaumarchais qui
soulignait la noblesse et l’élégance du personnage (il est vrai que nous avons
du mal à imaginer cette Rosina devenir la comtesse des « Noces »).
Seulement, cette méridionale exubérante se rapproche finalement de la version
de Rossini et Sterbini, qui se montre intraitable face à son persécuteur et
dont certains airs comme « Questo cane de tutore, ah che rabbi ache mi
fa ! », sont d’une étonnante brutalité. Mais n’oublions pas ce que
disait Stendhal : « Rosine est plus rusée et malicieuse
qu’amoureuse », et Michieletto semble être aussi de cet avis.